La
trentaine bien sonnée, Kalara semble ne pas avoir conscience
du soleil accablant qui darde ses rayons sur elle, amaigrie, frissonnante,
les yeux hagards, la jeune femme tient à peine debout seule.
Depuis
six semaines, elle se plaint d'une fièvre qui s'intensifie
la nuit, de douleurs dans le ventre et de fatigue générale.
" Soupçonnant un début de paludisme, j'ai d'abord
pris des décoctions à base d'écorces de chez
nous. J'ai également fait des sudations, de saignées
et des massages avec des herbes, sans changement.
Puis,
j'ai pris des comprimés de paracétamol achetés
auprès du colporteur. Voyant que mon état allait de
mal en pis, je suis allée chez le guérisseur qui a
dit qu'on m'a lancé quelque chose au village ", raconte
Kalara. Inquiète face à l'absence de résultats
après un long traitement magico-homéopathique chez
le tradi-praticien, un cousin de la jeune femme s'endette pour la
transporter à l'hôpital.
A
environ 30 km du village. Des examens cliniques révèlent
que la malade souffre d'une fièvre typhoïde avancée,
de vers intestinaux, d'anémie et d'un début d'infection
pulmonaire. " C'est un cadavre que vous m'apporter là.
Je ne soigne pas la mort. Vous attendiez quoi depuis le début
de la maladie ? ", se plaint le médecin de l'hôpital
départemental.
Dans
ce village de la Lékié, comme dans la plupart des
villages camerounais, les malades ont généralement
un parcours semblable à celui de Kalara. Dès l'apparition
des symptômes, le premier réflexe est d'ingurgiter
des décoctions du cru. Une ou plusieurs visites chez différents
tradi-praticiens permettent de s'assurer qu'il ne s'agit pas d'un
cour tordu de quelques sorcier malveillant.
L'hôpital
constitue toujours le dernier recours, longtemps après que
la situation s'est considérablement dégradée.
Tant qu'ils ne sont pas à l'article de la mort, d'aucuns
passent allégrement une année sans " voir de
leurs yeux " un médecin. Aller à l'hôpital,
consulter un spécialiste, faire des analyses médicales,
acheter les médicaments prescrits sont un luxe que les populations
du monde rural se permettent difficilement.
La
faute à la récession économique d'abord qui
les a plus qu'appauvries. La faute ensuite à l'enclavement,
aux longues distances à parcourir pour atteindre l'hôpital,
à la mauvaise qualité des routes ne favorisant pas
le passage régulier des cars de transport, à l'absence
des commodités telles que l'eau potable et l'électricité.
Dans
ces régions reculées, la moindre affection bénigne
est un problème de santé publique. " Certains
malades ont bien la volonté de se rendre à l'hôpital,
quand les moyens financiers le leur permettent bien sûr. Hélas,
il faut passer par bien des péripéties. Les malades
sont transportés sur des brancards de fortune ou dans des
brouettes. Les routes chaotiques aggravent certains états.
Et beaucoup de malades meurent ainsi à l'arrivée,
sans avoir même été consulté ainsi à
l'arrivée, sans avoir même été consultés...
", expliquent un médecin de campagne. Du coup, les accouchements
par exemple relèvent des méthodes traditionnelles.
Exit
les consultations prénatales, les vaccinations, les examens
prénuptiaux, les consultations gynécologiques et autres
dépistages du Sida. Aussi dans nos villages, beaucoup de
femmes décèdent-elles encore des infections post-natales.
L'insuffisance des infrastructures sanitaires et du personnel médical
dans les zones rurales a créé un terrain fertile sur
lequel évolue de nombreux débrouillards. Il s'agit
essentiellement des infirmiers retraités, des personnes ayant
appris leur science sur le tas et même des agents d'entretien
ayant servi dans les formations hospitalières en ville.
Tenez-vous
bien, ces débrouillards exercent leurs talents dans des domaines
aussi divers et compliqués que la chirurgie, la médecine
dentaire, la gynécologie, les autopsies... Et par ces temps
où le Sida fait des ravages, d'aucuns n'hésitent pas
à piquer tout un village avec la même seringue. Certes,
ils la font chauffer, mais... Allez donc chez ces praticiens de
bazar avec un petit rhume, le malade en sort avec quelque chose
de plus grave. Commencera alors un long périple qui l'entraînera
de guérisseur jusqu'à ce que la mort délivre.
Source: Yvette Bikele - Cameroun Tribune - 23/02/2002
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