| Il y a quelques mois, l'information
a été reprise largement par la presse internationale
: des doutes subsisteraient sur les performances de l'Ouganda dans
la lutte contre le Vih/Sida. Ce pays, selon des statistiques acceptées
de tous, depuis quelques années, est parvenu, en moins de
deux décennies, à renverser la tendance de l'épidémie.
Une première mondiale. En Ouganda, le taux de prévalence
du Vih/Sida est ainsi passé de 20 % à quelque 7 %.
Grâce à ces résultats, l'Ouganda est considéré
comme une réussite dans la lutte contre le Vih/Sida et, surtout,
comme un exemple cité à la tribune de toutes les conférences
sur cette maladie. À côté de l'Ouganda, on cite
aussi la Thaïlande, le Brésil et le Sénégal
qui sont aussi des « success story. »
Au Sénégal, la prévalence du Vih/Sida ne dépasse
pas 1,5 % dans la population générale. L'ambition
affichée est de ne pas franchir la barre des 3 % en 2006.
La réussite sénégalaise, largement documentée,
est, elle aussi, disons-le, souvent sujette à la suspicion.
Le programme sénégalais a déjà subi
le regard critique d'experts de tous horizons. Tout comme il est
passé assez régulièrement sous les fourches
caudines de groupes d'évaluateurs.
On entend, certes, de temps en temps, le doute percer d'un discours,
mais, pour l'essentiel, la faible prévalence notée
au Sénégal, obtenue à partir de normes scientifiques
mondialement reconnues, est, aujourd'hui, acceptée par la
communauté internationale.
Les raisons du succès du programme sénégalais
sont connues. Il y a la réponse précoce à l'épidémie,
un fort leadership politique qui soutient le programme, la mobilisation
de tous les acteurs y compris les leaders communautaires et religieux,
l'approche multisectorielle, etc.
La prévalence est faible, mais l'épidémie reste
concentrée. Chez les professionnelles du sexe, on note des
taux de prévalence de l'ordre de 15 %. Par ailleurs, dans
certaines régions, comme Diourbel et Kaolack, la prévalence
dépasse largement la moyenne nationale. On a, ces temps derniers,
parlé de la ville de Kolda où la prévalence
chez les jeunes de 15 à 25 ans serait de l'ordre de 2,5 %.
Un immense défi à relever.
Au Sénégal, les personnes vivant avec le VIH ont encore
peur de parler en public de leur maladie, de partager avec les membres
de leur famille leur statut sérologique.
Autre défi : la condition des personnes vivant avec le Vih.
Au Sénégal, le traitement antirétroviral est
totalement gratuit depuis janvier 2004 après l'annonce faite
par le chef de l'Etat à l'ouverture de la 6e conférence
internationale pour la prise en charge communautaire et à
domicile des Personnes vivant avec le Vih.
On peut, maintenant, vivre avec le virus, travailler, couver sa
famille et ses enfants, contribuer au développement de sa
communauté.
Avec le traitement antirétroviral, les Pvvih peuvent désormais
considérer leur maladie comme une maladie chronique à
l’image de l'hypertension ou du diabète. Les médecins
le répètent à l'envi. Pourtant, les personnes
vivant avec le Vih continuent de vivre une stigmatisation, une discrimination
de la société. Elles vivent presque dans « la
clandestinité ».
Malgré le succès du programme national, elles ne sont
encore que deux -un homme et une femme – à avoir franchi
le Rubicon en parlant en public de leur maladie. Beaucoup d'autres
refusent de les suivre. Pourtant, certaines d'entre elles mènent
des activités remarquables dans l'anonymat, en s’impliquant
dans la prise en charge psychologique des personnes nouvellement
infectées. D'autres militent dans des associations, cadres
dans lesquels elles s’épanouissent avec leurs pairs.
Ces Pvvih pourraient aussi aider la grande majorité des Sénégalais
qui ne connaissent pas leur statut sérologique. En vivant
positivement leur maladie, grâce aux antirétroviraux,
les Pvvih peuvent jouer un rôle déterminant dans la
promotion du dépistage anonyme et volontaire.
Tout cela prouve, en définitive, que le programme national
de lutte contre le Vih a encore des efforts à déployer
pour améliorer la prise en charge des Pvvih dans la famille
et au sein de la communauté. Il est tout de même paradoxal
de constater qu'au Sénégal dont les performances sont
saluées dans le monde entier, les Pvvih ont encore peur de
parler en public de leur maladie, de partager avec les membres de
leur famille leur statut sérologique, de contribuer ouvertement
à la sensibilisation des populations. Cela interpelle au
premier chef les responsables du programme national, mais aussi
tous les acteurs communautaires (responsable d’Ong) dont la
vocation est d'aider les communautés à accepter et
la maladie et les malades.
Manifestement, sur ce plan, il y a beaucoup de choses à dire
et, surtout, un vaste éventail d'actions à mener pour,
enfin, « lancer le pont entre, d'une part, l'hôpital
et, d'autre part, la famille et la communauté.»
Le Dr Ibra Ndoye, secrétaire exécutif du Conseil national
de lutte contre le Sida (Cnls), multiplie, réunions après
réunions, conférences après conférences,
les mises en garde du genre : « ne dormons pas sur nos lauriers
», « la faible prévalence est une invite à
plus d'engagement, de rigueur et de vigilance ». Tout le monde
l'écoute.
Tout le monde pense-t-il et dit-il la même chose, en public
et en privé ? Les « bulles » qui, de temps à
autre, éclatent dans les colonnes de la « presse people
» polluent l’atmosphère sans poser les bonnes
questions et créer les conditions d’un débat
serein.
Un membre d'une organisation non gouvernementale regrettait, devant
l'auteur de ces lignes, que la communauté des Ong eût
perdu son franc-parler. Presque plus de coups de gueule, plus de
débats contradictoires, plus de regard neuf pour justement
ne pas dormir sur « nos lauriers ». De temps à
autre, une gerbe de franc-parler ferait du bien à tout le
monde.
L'argent disponible en quantité oblige-t-il tout le monde
à travailler sans élever la voix et à vouloir
faire des résultats puisque, pour une fois, apparemment,
la question des moyens ne se pose plus avec autant d'acuité
? Nous parlons, bien sûr, de l'argent bien utilisé
; de l'argent qui est le moteur des activités qui améliorent
la qualité de vie des malades et les conditions de travail
des acteurs de la lutte contre le Vih/Sida.
« Le manque de visibilité » de la maladie n'a-t-il
pas, en définitive, enfermé tous les experts, dirigeants
d'Ong, leaders communautaires et professionnels des médiats
dans…une maison close ? Un huis clos qui serait, pour certains,
préjudiciable à une bonne « gestion de l’épidémie.
»
Sommes-nous capables, s'interroge un expert, d'inventer et de mettre
en œuvre d'autres stratégies pour informer et protéger
les jeunes ainsi que les adolescents - la majorité des Sénégalais
-, sexuellement actifs à un âge de plus en plus bas
? Les ados, d'aujourd'hui, n'étaient pas nés quand
leur pays entamait la lutte contre le virus, ajoute cet expert.
Un autre acteur de la lutte s’interroge : Ne devrions-nous
pas être plus attentifs à la vulnérabilité
des femmes à l'infection à Vih, voir encore plus large,
dans le cadre de l'approche multisectorielle, afin de rendre plus
évident le lien qu'il y a entre la surinfection des femmes
et leur faible statut juridique, économique et social ? «
Comme le savent les experts de la santé, le Sénégal
ne doit pas dormir sur ses lauriers et se contenter de ses efforts
de prévention passés. Les récentes statistiques
du programme de surveillance sentinelle de l'infection au Vih au
Sénégal montrent que la prévalence augmente
chez les groupes à hauts risques, une tendance très
préoccupante pour nous tous qui souhaitons éviter
une épidémie généralisée. Au
Sénégal, l'épidémie du Sida frappe durement
les femmes, particulièrement les jeunes femmes. De 2002 à
2003, le pourcentage de jeunes femmes enceintes séropositives
a augmenté de 70 %. » (1)
Travailler permet de rester éveillé. C'est à
1, 5 % de taux de prévalence que la lutte contre le Vih/Sida
est manifestement la plus âpre et les succès à
la merci d'une flambée aux conséquences dramatiques.
Ces mots sont de M. Richard Roth, ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique
au Sénégal. Les Etats-Unis, à travers l’Usaid,
sont, au Sénégal, le premier donateur pour les activités
de lutte contre le Vih/Sida, depuis 1987. Ce pays a dépensé
plus de 25 millions de dollars pour aider le Sénégal
à maintenir bas le taux de prévalence. Son texte,
publié dans les colonnes du « Soleil », le jour
de la célébration de la Journée mondiale de
lutte contre le Sida, est à la fois un appel à la
« vigilance » et « un rappel des leçons
apprises » qui permettront « de pérenniser les
progrès enregistrés ».
Ceux qui contestent le succès du programme ougandais ont
dû réveiller du beau monde à Kampala. Nous ne
sommes pas, pour le moment, en mesure de saisir tous les éléments
constitutifs de cette contestation, mais ce brin de provocation
a dû faire du bien en Ouganda.
Il reste aux Sénégalais de ne pas « dormir sur
leurs lauriers ». Travailler permet de rester éveillé.
C'est à 1, 5 % de taux de prévalence que la lutte
contre le Vih/Sida est manifestement la plus âpre et les succès
à la merci d'une flambée aux conséquences dramatiques.
EL BACHIR SOW
(1). Contribution de l’ambassadeur des Etats-Unis au Sénégal,
publiée dans « Le Soleil » à l’occasion
de la Journée mondiale de lutte contre le Sida (1er décembre
2004).
Lire l'article original : http://www.lesoleil.sn/santeenv/article.cfm?articles__id=45742
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