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(...) Les problèmes qui se posent à nos systèmes
de santé sont nombreux : égalité d'accès aux soins, qualité des
soins, rationnement des ressources, satisfaction du consommateur
de soins, droits de l'individu et de la collectivité, déterminants
environnementaux de la santé. En même temps, d'énormes progrès ont
été réalisés dans les méthodes de diagnostic et de traitement, les
systèmes de bibliothéconomie et les méthodes d'apprentissage assisté
ainsi que dans les systèmes de gestion des données. Cet essor rapide
de la technologie a entraîné une demande constante de nouvelles
aptitudes et de spécialisations plus poussées.
Si l'évolution des besoins en matière de santé,
ainsi que les façons d'y répondre, ont des conséquences sur la formation,
l'explosion des moyens de communication et d'information doit entraîner
des transformations de l'enseignement qui est dispensé à la faculté
de Médecine de Dakar. La place de la santé, dans un modèle pluridimensionnel
de développement humain durable est l'un des messages clés des objectifs
du millénaire pour le développement (Omd). Six des huit objectifs
sont en rapport direct ou indirect avec la santé. La réalisation
de la plupart de ces objectifs, comme la réduction de la mortalité
des enfants de moins de cinq ans ou l'amélioration de la santé maternelle,
nécessite la prise en compte de facteurs socio-économiques et culturels.
Notre faculté de Médecine n'a pas semblé, pendant
longtemps, comprendre les besoins des services de santé qu'elle
dote en médecins, ni se juger responsable de les satisfaire. Cette
institution s'est trouvée souvent confrontée à la même question
: doit-elle rester dans sa tour d'ivoire pour préserver son indépendance
et sa stabilité, risquant par-là de perdre de sa pertinence pour
la société, ou doit-elle aller se mesurer aux problèmes de cette
dernière, donnant ainsi la preuve qu'elle peut affronter la réalité,
au risque de mettre en péril son indépendance et sa stabilité ?
L'enseignement dispensé au sein de la faculté de Médecine reproduit
très souvent les modèles connus des facultés occidentales qui se
sont longtemps empêtrées dans une controverse sur la médecine conçue
comme une science par opposition à la médecine conçue comme service.
Le Sénégal a accepté ce standard et s'est enorgueilli d'être capable
de s'y conformer, se montrant peu disposé à s'en écarter, même si
l'on sait que ce modèle ne répond pas aux besoins des collectivités
que des soins individualisés ne peuvent atteindre.
Le corps enseignant oppose une résistance presque
inflexible à l'attitude logique qui consisterait à faire correspondre
la formation de l'étudiant avec la tâche qu'il sera appelé à accomplir.
Cet enseignement, n'est guère encore aujourd'hui en mesure de faire
passer dans les schémas d'exercice un juste équilibre entre les
interventions préventives, promotionnelles et curatives, de manière
à tenir compte des besoins de santé globaux des individus et des
collectivités. Le corps médical, dans son refus de tolérer la moindre
atteinte à la liberté d'enseignement, a manqué à son devoir vis-à-vis
de la société, en ne préparant de nombreux médecins que dans une
perspective biomédicale.
L'enseignement médical axé sur les besoins des
Africains doit élaborer des méthodes d'évaluation novatrices qui
privilégient les qualifications, les comportements et les aptitudes
permettant à l'intéressé de servir utilement ses concitoyens. La
sélection des étudiants en Médecine, qu'il ne faut pas dissocier
du problème des programmes, doit revêtir une grande importance.
Au lieu de prêter aux qualités personnelles des étudiants toute
l'attention voulue, on a surtout insisté sur les résultats du baccalauréat,
alors même qu'un tel examen ne permet en général pas de déterminer
si un candidat est vraiment fait pour exercer une activité médicale,
notamment au niveau des soins primaires.
L'option que pourrait avoir notre faculté de Médecine,
de miser sur l'aptitude de ses diplômés à répondre aux besoins de
santé individuels et collectifs, serait sans préjudice pour la recherche
de l'excellence que tout établissement universitaire doit légitimement
ambitionner.
En définitive, l'exercice de la médecine dans notre
pays appelle des réformes importantes ; ce qui implique des réformes
de la formation médicale. Les médecins doivent être formés dans
les trois dimensions de la Médecine qui sont les suivantes :
La dimension scientifique, dimension essentielle sans doute qui
apporte la compétence. Cette dimension se fonde sur une conviction
fondamentale et ancienne que proclamait déjà Claude Bernard dans
sa "Médecine expérimentale" et qui est renforcée par le postulat
pasteurien selon lequel, toute maladie a une cause identifiable
dont la suppression entraîne la guérison.
Nous sommes toujours dans l'espace défini il y a un siècle par
le cartésianisme, le positivisme et le scientisme. Il faut donner
une plus grande compétence au médecin face au malade, en lui permettant
d'appréhender scientifiquement les aspects cliniques des problèmes
et les techniques sans cesse nouvelles mises à sa disposition. Les
médecins formés au niveau de la faculté de Médecine de Dakar, ont
un impératif moral exigeant de répondre sans hésitation à toute
demande de soins auquel se mêle souvent le sentiment d'être le seul
capable d'assurer ces soins. Cependant, détenteurs souvent d'un
savoir prétendument objectif, donc à priori non contaminé par des
influences culturelles, ils risquent de juger les autres à travers
eux, de façon souvent normative, et d'être finalement nocifs sur
le plan ethnologique, contribuant à faire disparaître des valeurs
culturelles ou inefficaces, en donnant des prescriptions ou des
conseils qui ne seront pas suivis. Il faudra que l'étudiant soit
préparé à pouvoir dispenser, à sa sortie de la faculté de Médecine,
les meilleurs soins possibles dans des circonstances optimales comme
dans les centres hospitalo-universitaires, mais aussi, les meilleurs
soins possibles dans les conditions réelles, dans un centre de santé
ou un hôpital régional. Nous savons cependant que dans le contexte
actuel, trop de médecine moderne, avec ses priorités cliniques,
et de recherche, va à l'encontre de l'équité, même si ce n'est pas
le but visé.
La dimension personnelle, éthique et humaine, non moins essentielle,
qui apporte l'échange, le dialogue, l'humanisme. Cette approche
humaniste provient de la certitude qu'il n'existe pas deux malades
identiques et qu'une thérapeutique doit être personnalisée. Notre
formation est nécessaire pour nos tâches techniques, mais elle n'est
pas suffisante pour mener des hommes, des femmes vers un même but,
pour les changer d'un comportement à un autre.
C'est notre dimension humaine, c'est-à-dire notre savoir-être qui,
associé à notre savoir, qui sont les conditions nécessaires pour
asseoir un nouveau rapport entre la population et les services de
santé, d'où l'importance des qualités morales que le médecin doit
avoir.
Le patient doit être aussi un partenaire actif de la relation soignante,
et non pas seulement perçu comme le bénéficiaire passif de la prestation,
ce qui peut améliorer la qualité des soins. Si cela peut être synonyme
de difficultés aux yeux des médecins qui se lamentent du déclin
de la mystique de la médecine, en tant que moyen thérapeutique,
il est d'autres médecins qui peuvent attester des avantages d'un
patient éclairé et participatif.
Les futurs médecins doivent savoir juger bien plus clairement ce
qui est un problème de santé et ce qui ne l'est pas, et apprécier
exactement la place occupée par le médecin dans la société moderne.
La "technicisation" de la naissance, de la maladie et de la mort
s'accompagne d'une plus grande exigence d'humanité dans la façon
de soigner les malades. Les nouvelles options offertes en matière
de santé génésique, de soins préventifs, curatifs, palliatifs et
de réadaptation placent les professionnels de la santé et leur entourage
devant des choix difficiles. Les progrès de la médecine et les évolutions
sociales des vingt dernières années, ont modifié et enrichi le contexte
dans lequel la réflexion éthique se développe, et la formation des
médecins constitue l'un des enjeux les plus pressants de cette réflexion
parce que c'est là que s'édifient les attitudes et les perceptions
du milieu médical de demain. Un solide ancrage dans l'éthique médicale
aidera en partie les médecins à affronter ces problèmes difficiles
lorsqu'ils prennent des décisions qui ont un caractère professionnel.
Cependant, si les principes universellement admis restent la base
et le cadre de la démarche éthique, celle-ci doit en moduler les
applications dans le temps et l'espace. Comme le dit très bien Simon
Darioli, "l'éthique ne saurait être dissociée du temps et de la
culture dans lesquels elle s'inscrit".
Professeur Oumar Faye Ministère de la Santé de l'Hygiène et de
la Prévention
Lire l'article original : http://www.walf.sn/contributions/suite.php?rub=8&id_art=8523
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