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En l'absence d'une école de formation et d'un organisme
d'accréditation, les laboratoires privés recrutent leur personnel
technique et exercent le contrôle de qualité de leur service avec
les moyens du bord.
La situation actuelle est extrêmement dangereuse
et préjudiciable pour les patients. C'est le cri d'alarme d'un ancien
laborantin du ministère de la Santé, aujourd'hui à la retraite,
qui s'exprime sur le manque de rigueur dans le contrôle des qualifications
des techniciens de laboratoire dans le secteur privé.
Aujourd'hui, le ministère de la Santé compte près
de 400 techniciens qualifiés après quatre années d'études en parasitologie,
hématologie, microbiologie, virologie et histologie. "Il y a deux
ans, l'université de Maurice a rehaussé le niveau du programme d'étude
des techniciens de laboratoire. Ils seront désormais détenteur d'un
diplôme faisant d'eux des scientifiques, donc des techniciens plus
qualifiés que leurs prédécesseurs", explique le Dr Raj Choollun,
responsable du département des sciences médicales à l'université
de Maurice.
Une inégalité de competences
Les techniciens du secteur privé sont exclus de
ce programme. Les directeurs de laboratoires d'analyses médicales
privés recrutent leurs techniciens, soit parmi les étudiants qui
rentrent au pays à la fin de leurs études, soit parmi les fonctionnaires
qui décident de tenter l'expérience dans le privé. "Chacun s'applique
selon ses moyens et ses compétences", déclare Ibrahim Sheik-Yousouf,
Managing Director de Pro-Medica, une société spécialisée dans l'analyse
biomédicale. Cette situation aboutit à l'existence d'une inégalité
de compétences.
Les laboratoires de certaines cliniques ont, à leur tête, un pathologiste
épaulé par un ou deux techniciens qualifiés. D'autres laboratoires
se contentent de la présence d'un pathologiste et d'un personnel
technique formé selon les règles de la maison.
Hans B. Gopal, microbiologiste et directeur de
la société Hans Biomedical Laboratory Ltd, un des derniers venus
dans le secteur, a assuré lui-même la formation de ses deux laborantines.
Ahstee Boodhoo et Poojah Ramdin sont phlébotomistes. Pendant trois
mois, elles ont suivi un cours sur la nature et le fonctionnement
des veines.
Avec l'introduction d'équipements de laboratoire
qui ont remplacé l'intervention humaine dans la préparation des
analyses, il y a eu une évolution dans l'appréciation du rôle du
laborantin. Deux écoles de pensée s'affrontent sur ce terrain. Il
y a celle qui estime que la présence de laborantins qualifiés n'est
pas nécessaire. L'autre exige la présence de techniciens ayant une
formation médicale également.
"Je n'ai pas besoin de laborantins qualifiés", soutient le Dr Baboo
chandrasingh Gowreesunkur, directeur du Green Cross Medical Laboratory,
une société d'analyse biomédicale en laboratoire. "Je suis un pathologiste
qualifié. Les analyses sont effectuées sous ma supervision. Aujourd'hui,
tout se fait à la machine."
Manque de rigueur du ministère de la Santé
Un laborantin, qui a une formation médicale et
qui veut rester anonyme, n'est pas de cet avis. "On ne peut pas
faire confiance à la machine à 100 %. Que se passe-t-il s'il arrive
que la machine ne fonctionne pas ? Comment un technicien formé sur
le tas peut-il se tirer d'affaire ? Il faut un technicien qualifié
dans un laboratoire."
Depuis que le ministère de la Santé a exigé la signature formelle
d'un protocole entre les fournisseurs d'équipements et les propriétaires
de laboratoire pour la maintenance régulière des équipements, le
risque inhérent à une trop grande dépendance vis-à-vis de la machine
a été atténué. Le laboratoire central de Candos est en pleine réorganisation
et au ministère, on estime que celle-ci pourrait être bénéfique
au secteur privé.
L'absence d'un programme de formation n'est pas le seul point noir
au niveau des laboratoires privés. Il y a également la difficulté
à exercer un contrôle rigoureux sur la qualité des prestations qu'ils
offrent. Ce contrôle assuré par le ministère de la Santé ne fait
pas l'unanimité. "Il est souhaitable qu'il y ait plus de rigueur
de la part du ministère de la Santé", estime Ibrahim Sheik Yousouf.
"Il faut mettre de l'ordre" soutient Anand Daby, directeur du laboratoire
de Quatre-Bornes, une des premières sociétés à effectuer des tests
du sida et hormonaux et à introduire l'informatique au laboratoire.
"Les tests, ce n'est pas l'affaire des médecins. Et pourtant, certains
le font sans être inquiétés. Qui peut s'assurer que les tests en
laboratoire sont effectués sous la supervision d'un technicien qualifié
?", se demande un ex-technicien de laboratoire du ministère de la
Santé.
La compétition fait rage
Les effets dus à l'absence d'un système de contrôle
plus rigoureux et détaillé auraient pu être atténues si Maurice
disposait d'un organisme régulateur et d'accréditation. L'établissement
des normes ISO 17025 destinées aux laboratoires n'est pas pour demain.
Le comité technique chargé de faire les recommandations
pour l'institution d'un organisme d'accréditation des laboratoires
a terminé ses travaux depuis 2000. Il les a soumises à Mauritas,
organisme responsable de l'octroi des accréditations à Maurice.
Dans les milieux du ministère de l'Industrie, on en est encore au
stade où on se contente de donner de l'espoir. "Les choses vont
dans la bonne direction", fait-on ressortir.
L'absence de normes contribue à pervertir le concept
d'incertitude de la mesure lié à l'analyse des échantillons en laboratoire.
"Il arrive que des clients jugent la performance d'un laboratoire
en comparant les résultats d'analyse sur des échantillons qui n'ont
pas été prélevés dans les conditions similaires", explique Anand
Daby. Or, ce concept est utilisé pour déterminer la différence significative
entre deux résultats obtenus sur un même échantillon.
Entre-temps, sur le terrain, les choses évoluent
très vite. Les nombreuses campagnes de sensibilisation et de prévention
relatives à la santé ont amené une plus grande prise de conscience
chez de nombreuses personnes. Etablir régulièrement son bilan de
santé est entré dans les mœurs. C'est ce qui a contribué à l'épanouissement
des laboratoires médicaux privés. La compétition fait rage. La guerre
des tarifs aussi. Depuis 1979, le nombre de laboratoires privés
est passé de un à une quinzaine. La demande pour les analyses est
telle que certains opérateurs n'hésitent pas à multiplier les points
de collecte d'échantillons.
Le secteur public compte près de 400 techniciens
de laboratoire qualifiés et a rehaussé le niveau de son programme
de formation universitaire. Le secteur privé, à quelques exceptions
près, semble être à la traîne et compte les techniciens qualifiés
sur les doigts d'une main. Le pire est qu'en l'absence d'une étude
approfondie sur cette situation, personne ne peut mesurer l'ampleur
de ses répercussions sur la santé publique.
Lindsay PROSPER
Lire l'article original : http://www.lexpress.mu/display_search_result.php?news_id=14585
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