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Pourquoi dans les pays en développement, des maladies
infectieuses endémiques traitables, comme la tuberculose ou le paludisme,
déciment encore des millions de personnes ? Pourquoi 40 millions
de leurs habitants ont porteurs du VIH ? Pourquoi près de 40 % des
décès y sont dus au cancer, à l'asthme, au diabète, aux pathologies
cardiovasculaires ? C'est à ces questions que Ruth MAYNE, conseillère
de l'ONG britannique Oxfam, apportent des réponses personnelles
en se basant sur le récent accord de l'OMC concernant les brevets
(Courrier ACP/VE n°201).
D'emblée, elle explique la situation d'avant Doha
(2001). Outre, la pauvreté, l'absence de volonté politique des gouvernements,
le délabrement des infrastructures sanitaires et le choix inapproprié
des produits, d'une part, les médicaments pour traiter un grand
nombre de ces affections ne sont pas encore accessibles à un tiers
de la population mondiale ; d'autre part, le manque de pouvoir d'achat
des pauvres n'encourage guère les recherches sur des maladies comme
la tuberculose, le paludisme ou la shigellose : "90 % des maladies
de la planète bénéficie de moins de 10 % des dépenses consacrées
à la recherche sanitaire dans le monde".
L'ADPIC
A cela s'ajoute le problème né des règles de protection
des brevets - contenues dans l'Accord de l'OMC sur les aspects des
droits de propriété intellectuelle liés au commerce / ADPIC - posées
par Doha et qui autorisent les industries pharmaceutiques à tarifier
les médicaments essentiels au prix fort et de ce fait, restreignent
l'accès des pauvres à ces produits. Cet accord sur les ADPIC exige
de tous les membres, indépendamment de leur niveau de développement,
"de garantir une protection minimale de 20 ans sur tous les brevets
relatifs aux produits et aux procédé de fabrication". C'est dire
que les industries pharmaceutiques bénéficient d'un monopole planétaire
sur les médicaments qu'elles produisent. D'où tiraillements.
Cependant, l'OMC a reconnu, par une "déclaration historique", la
primauté de la santé publique sur les droits particuliers en matière
de brevets et confirme que les gouvernements ont le droit de recourir
à la flexibilité que l'Accord sur les ADPIC prévoit en faveur de
la santé, notamment le dispositif des licences obligatoires pour
"promouvoir l'accès de tous aux médicaments".
Double licence obligatoire
Par ce dispositif, les pays importateurs notifient
leur souhait de recourir au système et peuvent émettre une licence
obligatoire pour la quantité de médicaments nécessaires. En retour,
les pays exportateurs émettent aussi une licence obligatoire afin
de couvrir les besoins et veiller à ce que la production requise,
fabriquée sous licence, arrive à destination.
Les pays riches peuvent autoriser une entreprise installée sur leur
territoire à fabriquer une version générique, donc moins chère,
d'un médicament breveté, si son prix est trop élevé et donc de distribution
limitée. Par contre, si les Ped ont des unités de production pharmaceutique,
ils ont un marché mondial restreint et du reste, ils sont, pour
la plupart, tributaires de l'importation des composants actifs.
Ainsi, affirme Ruth Mayne, "en 2005, les Ped qui exportent des médicaments
génériques bon marché, devront se conformer aux règles de l'OMC.
Sans capacités de production adéquates, ils ne seront plus en mesure
de satisfaire la demande, de serte que la quasi totalité de ces
pays devront acheter les coûteux produits originaux - que même leur
population ne pourra pas payer ou laisser leurs patients sans traitement..."
Décision du 30 août
Ce qui a, une fois de plus, provoqué d'intenses
tiraillements qui ont abouti le 30 août dernier, à la veille de
la 5e réunion de Cancun, à la "situation historique" proposée par
l'OMC "permettant aux pays pauvres d'utiliser pleinement les flexibilités
prévues par Doha afin de lutter contre les maladies qui déciment
leurs populations."
De nombreuses ONG, soutenues par l'OMS, n'en sont pourtant pas convaincues
: " L'OMC a transformé un mécanisme qui tenait en 52 mots lorsqu'il
a été approuvé par le parlement européen en 2002, et en a fait un
charabia administratif de 3200 mots...) Instrument de politique
commerciale, il contredit les principes de base de L'OMC et du libre
- échange".
En d'autres termes, les Ped restent à la merci d'une décision politique
d'un autre pays pour répondre à leurs besoins sanitaires. "En plus
des autres restrictions, cette double licence obligatoire introduit
la possibilité d'incertitudes et de retard compliquant fortement
les transactions pour les Ped. De plus, les ambiguïtés du texte
laissent le champ libre aux Etats-Unis et l'industrie pharmaceutique
pour réduire la portée de l'accord du 30 août en exerçant des pressions
bilatérales dans les coulisses".
Quoi qu'il en soit, la priorité des Ped est de recourir aux flexibilités
de l'accord sur les ADPIC et à la décision du 30 août, afin de fournir
des médicaments à bas prix à leurs populations et d'évaluer si le
mécanisme peut produire les effets escomptés : médicaments pour
tous !
Pela Ravalitera
Lire l'article original : http://www.lexpressmada.com/article.php?id=19422&r=4&d=2004-03-10
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