Les
Sénégalais, à l’image de bon nombre d'africains, croient aux esprits
surnaturels qui semblent envahir leur environnement. Appartenant
aux religions traditionnelles africaines comme c’est le cas avec
les "rabs" ou aux religions importées pour parler de l’Islam avec
ses "djins", ils sont dans l’imagerie populaire, les principaux
auteurs des troubles mentaux dont serait victime la majorité des
leurs.
Les
malades africains, notamment les Sénégalais, consultent un guérisseur
dès l’apparition des premiers symptômes de pathologie mentale. Ils
ne se rendent dans les structures de santé mentale spécialisées
que lorsque leur cas devient plus critique ou qu’ils ont épuisé
leurs ressources financières. Les psychiatres et tradipraticiens
sont unanimes sur ce point: 90% des Sénégalais entreprennent en
premier lieu une tradithérapie (thérapie traditionnelle, ndlr).
En
réalité, la maladie mentale est toujours attribuée au Sénégal, tout
comme dans d’autres pays africains, à un esprit surnaturel ou à
une chose extérieure. L’affaiblissement du corps humain ou d’un
autre constituant de l’être, est perçu comme conséquence, soit de
l’environnement, soit des esprits. Une chose qui s’explique par
le fait que dans les cultures africaines, l’être humain est moins
individualisé, "il appartient à un réseau de relations lignagères
à la fois horizontale et verticale". Aussi, d’après les spécialistes
de la santé mentale, les malades mentaux africains cherchent-ils
toujours leur "agresseur" dans leur entourage. Ils se sentent victimes
d’une agression provenant soit des êtres humains soit des esprits
qui peuplent leur environnement.
Dans
le registre des agressions mises sur le compte des êtres humains
causant les troubles mentaux, on cite les marabouts et les sorciers.
Si les marabouts utilisent leurs pouvoirs magiques pour jeter des
sorts pouvant réduire la capacité intellectuelle de l’individu,
le "sorcier anthropophage" quant à lui, "dévore l’âme" de sa victime.
L’attaque de ces deux catégories d’agresseur aboutit dans l’imagerie
populaire soit à la mort, soit à la maladie mentale ou psychosomatique.
La victime est sujette à une sensation de "dévoration" d’une partie
ou de la totalité du corps.
S’agissant
des esprits surnaturels, ils découleraient des religions traditionnelles
africaines comme c'est le cas avec les "rabs" ou des religions importées
pour parler de l'Islam avec ses "djins". Ces derniers considérés
comme des esprits admis dans le Coran éprouveraient, à en croire
les spécialistes de la santé mentale à l’image du professeur Henri
Collomb, dans un ouvrage intitulé "sorcellerie anthropophage", un
malin plaisir à apparaître aux hommes sous différentes formes terrifiantes.
Les "djins" ou les "seytanés" provoquent, selon les analyses du
Dr Habib Thiam, un "état de sidération avec stupeur, désorientation
dans le temps et dans l’espace avec perte de la force vitale qui
s’échappe à la suite de la vision sidérante et la peur qui l’accompagne".
Contrairement aux djins qui s’attaquent aux hommes "en cas de transgressions
de certaines règles religieuses" ou aux "seytanés" qui le font par
plaisir, les "rabs" définis comme des esprits ancestraux protègent
ou cherchent à s’unir avec l’homme. Dans "Etat maniaque, rab et
structure oedipienne", Babacar Diop, révèle les manifestations du
"Cioro rab" et du "faru rab", qui apparaissent pendant le sommeil
nocturne en rêve sous une forme qui vient partager la couche de
l’individu choisi. "Ils apparaissent en général à celui ci au moment
de la puberté et continuent de le fréquenter toute sa vie", explique
t-il. Sous différentes formes, ils arborent la physionomie d’une
personne envers qui l’individu éprouve du respect, de la pudeur
et avec laquelle, les règles de la bienséance lui interdisent d’avoir
des relations sexuelles. Très jaloux, le "rab" manifeste, à l’en
croire, son dépit en privant l’individu d’une nombreuse progéniture,
d’une vie sexuelle normale et parfois de la santé mentale. Les femmes
possédées par les "rabs" ne tombent pas enceintes ou font des avortements
et des fausses couches répétées. Les hommes de leur côté, souffrent
d’asthénie, d’impuissance sexuelle, de stérilité.
Les "rabs" peuvent tourmenter les hommes pour recevoir d’eux les
offrandes ou sacrifices comme du temps de leurs ancêtres. Le "rab"
qui existerait dans certaines ethnies inflige au sujet négligeant
des sanctions pouvant aller de la paralysie aux troubles mentaux.
La
croyance aux troubles mentaux attribués aux esprits surnaturels
n’est pas spécifique à l’Afrique. Déjà au 16 e siècle dans l’occident
chrétien, il a été constaté l’existence d’un monde sacré (celui
de Dieu et des démons) qui "communiquait avec le monde réel, lui
envoie des signes chargés d’assurer la cohésion , l’harmonie entre
autres". Mais les humanistes occidentaux n’ont pas attendu la fin
de ce siècle pour dénoncer les notions de "possession" par le démon
et la sorcellerie, convaincus que cela relevait d' impostures, de
mensonges, hypocrisies et tromperies visant à "berner et leurrer
les populations". La maladie mentale qui n’était pas reconnue au
moyen âge, sera par la suite remise en cause; le fou n’est plus
considéré comme l’inverse de l’honnête homme. Avec Descartes, l’homme
du 17e siècle a une nouvelle vision de la maladie mentale. La folie
n’est plus l’envers du bon, le fou est considéré comme un malade,
rappelle le Dr Habib Thiam.
En
Afrique, les populations, notamment les malades mentaux et leur
entourage, continuent d’attribuer leur sort aux choses extérieures.
Et d’après le psychothérapeute, Oumar Ndoye," nous devons laisser
aux gens leurs croyances car éliminer les croyances d’ un peuple,
reviendrait à supprimer ce peuple" . Le thérapeute qui ne réfute
pas l’existence de "rabs", souligne qu’il est indispensable de tenir
compte de la pathologie de l’individu, d’accorder une importance
à ce qu’il dit puisque "la croyance de l’autre est déterminante
dans la cure et qu’on évolue dans une société qui appartenait avant
l’Islam à un système magico religieux".
Oumar
Ndoye avoue avoir été un témoin oculaire de choses relevant de l’extraordinaire.
"Lors d’une séance de ndeup, un individu en transes, a bu d’une
gorgée vingt litres d’eau de mer, et une ndeupkat a sauté un mur
des deux pieds joints devant une assistance ébahie qui ne l’aurait
pas cru si on le lui avait raconté". Comme quoi, "l’Afrique a ses
mystères que nul ne peut percer" ! Mais souligne le psychiatre Habib
Thiam, "les représentations traditionnelles donnent un sens à la
maladie mentale et ne culpabilisent ni le malade, ni la famille".
Hospitalisés
dans une psychiatrie
Ils
mettent leur état sur le compte des esprits surnaturels
Aicha
(appelons la ainsi), est une jeune fille qui séjourne dans une des
structures psychiatriques de Dakar pour troubles mentaux. Aicha,
vingt ans environ est d’une beauté angélique. Elle est calme dans
son coin, trop calme même. Elle n’est pas violente, tient des propos
"cohérents" mais est malade mentalement. Sa maladie l’a terrassée
après qu’elle a accouché d’une mignonne petite fille hors mariage.
Depuis, elle a été atteinte d'une psychose puerpérale (mérèdes en
wolof), une pathologie mentale spécifique aux femmes car, survenant
après un accouchement.
Mais Aicha est convaincue que c’est le "rab" qui lui rend visite
chaque nuit, qui lui a infligé ce sort. "Je le vois toutes les
nuits, il est de teint clair. Hier, il m’a réveillé et m’a demandé
de me lever, je suis allée me réfugier chez mon frère. Il obstrue
ma gorge et m’empêche d’avaler quelque chose, il ne veut pas que
je prenne les médicaments, il immobilise mes genoux, il est dans
mon corps. Et à cause de lui, j’ai des pertes de mémoire".
Aicha se dit, possédée par un "rab" qui s’est emparée de son corps
lorsqu’elle était en état de grossesse. "ma mère m’interdisait
de sortir au crépuscule, c’est le jour où je lui ai désobéi, que
le rab m’a pénétrée " explique t-elle avec assurance. Elle est
confortée dans sa position par son grand frère qui lui tient compagnie
dans cet hôpital psychiatrique. Selon lui, leur mère qui a séjourné
elle aussi dans la même psychiatrie présentait des troubles similaires.
"Elle était possédée par les rabs. Mon grand père qui était un ndeupkat
est mort sans lui avoir légué son savoir comme le veut la tradition,
conséquence: les rabs se sont vengés sur ma mère, elle a eu des
troubles psychiques. On l’a hospitalisée à Fann mais son état ne
s’est pas amélioré, elle a retrouvé la santé grâce aux guérisseurs.
C’est parce que ma sœur ressemble physiquement à ma mère que les
rabs se sont tournés vers elle. "
A
la question de savoir pourquoi avoir opté pour la médecine moderne
pour soigner sa sœur, il répond que "c’est juste pour la calmer
mais on compte entreprendre une tradithérapie car, seule cette dernière
peut lui permettre de se rétablir ".
Tentant
d’expliquer cette situation, le psychiatre, Habib Thiam indique
que les guérisseurs donnent aux patients et à leur entourage, une
explication des causes de la maladie plus compréhensibles que celui
de la médecine occidentale dont les termes sont aux yeux des patients
trop scientifiques. Sur un tableau clinique Aicha présente un syndrome
d’automatisme mental, "ses hallucinations sont dues au fait qu’elle
est une fille mère, qui se sent mal à l’aise devant son entourage,
elle convoque le rab pour se protéger" D’ailleurs, explique
le frère, Aicha ne sortait plus, elle avait honte de croiser le
regard des autres. Après son accouchement, elle a commencé à déserter
la maison sur ordre, dit-elle, du "rab". Selon le Dr Habib thiam,
Aicha est victime d’une psychose puerpérale qui "attaque" les filles
mères, les femmes qui ont eu des grossesses non désirées, qui ont
été victimes de harcèlement et n’ont pas su gérer leur grossesse.
Le
voisin de Aicha est un jeune garçon qui a mis une croix aux choses
"mondaines" de la vie, il s’est orienté vers la religion passant
ses journées à prier, à égrener son chapelet dans sa solitude. Rien
dans cette vie n’a de sens pour lui, même pas l’école qu’il a quitté
volontairement en classe de terminale. Ce jeune garçon qui respirait
la joie de vivre s’était métamorphosé subitement, décidant de consacrer
toute sa vie aux pratiques religieuses comme recommandé par ses
frères en religion: il dort la nuit avec son chapelet après avoir
"fait" les "wirds" que lui ont donné des amis. Il est devenu taciturne
et solitaire. "Il n’exprime que ses besoins," témoigne son grand
frère. Mais c’est après le décès de son père dont il a été au chevet
durant sa maladie, qu’il a commencé à faire des fugues, emporté
dit-il, par des tourbillons. "j’ai très peur, un jour j’ai entendu
des paroles de djinns qui m’ont menacé de mort. Une forte lumière
avait jailli dans la chambre, le djin apparaît sous un aspect humain
mais avec différentes formes".
Moussa
qui a été retrouvé dans la brousse trois jours après, par ses proches,
est conduit vers un guérisseur qui est parvenu à le calmer après
qu’on lui a remis 150 000Fcfa. Moussa ne voulait pas de cette thérapie
qui, selon lui, est interdite par la religion musulmane. "C’est
l’une des raisons pour lesquelles il n’est pas guéri puisqu’il n’y
croyait pas, il taxait les guérisseurs de fétichistes," indique
son frère.
Moussa compte sur la médecine moderne pour guérir mais il reste
convaincu que sa maladie est l’œuvre de satan qui "tente de détourner
ceux qui veulent se rapprocher de Dieu".
Le
cas de Mariétou
Mariétou
est une belle jeune femme qui occupe le poste de directrice dans
une société de la place. Mariétou est belle, son regard peut faire
chavirer le coeur de plus d’un homme. Ses cheveux qui croulent sur
ses épaules, son teint ambré prouvent son appartenance à l’ethnie
peulh. Qui plus est, elle est très intelligente, et pétrie de qualités,
selon ses proches. Quand on lui relate les témoignages faits à son
encontre, Mariétou ne peut s’empêcher d’esquisser un sourire qui
n’est guère fortuit. Car, indique t-elle, "je rends grâce au
Bon Dieu, sans lui, je serai en train d’errer présentement dans
les rues de la capitale comme ceux qu’on traite de fou, car j’ai
été malade mentalement ".
A
entendre ses propos, on ne peut s’empêcher d’ouvrir grands les yeux,
croyant qu’on a mal entendu. "C’est peut être incroyable mais
que croyez vous, je ne suis qu’un être humain, je suis vulnérable,
d’ailleurs personne n’est épargnée par cette maladie". Mariétou
sentait qu’elle était malade mentalement. Sa structure mentale se
bloquait, elle sentait sa volonté défaillir. Elle avait des maux
de tête douloureux, des problèmes pour communiquer avec les autres.
Des symptômes qui prouvaient qu'elle n'était plus "normale". Trois
tradithérapeutes qu'elle a eu à consulter, lui révèlent qu' elle
est possédée par un "faru rab", qui très jaloux rendait sa relation
avec les autres très difficiles.
"Au début, je n'en revenais pas, car personne dans ma famille
n'est possédée par un rab, d'ailleurs, ces choses frisent, pour
nous, l'imaginaire. Par la suite, j'y ai cru, car le "rab" qui est
de teint clair avec une longue chevelure, prenait les aspects des
personnes que je connaissais. Je le voyais dans mes rêves, il partageait
mes couches souvent sans que je ne puisse le chasser. Je remarquais
que le lendemain, j'avais des problèmes pour m'exprimer, j'avais
l'impression de porter le ciel, ma tête devenait lourde, tout était
confus dans ma tête, j'en souffrais mais je ne pouvais en parler
à personne de peur d'être traitée de folle, j'étais fatiguée mentalement.
Au début, j'ai entrepris une psychothérapie mais c'était toujours
le statut quo".
Les
choses ont commencé à se décanter lorsque Mariétou a décidé de suivre
les conseils des tradithérapeutes en s'enduisant de bains rituels,
en humant des poudres mystiques. "Tout est redevenu clair dans
ma tête. Un jour, je me suis rendue compte que j'avais chassé le
rab, il a voulu coucher avec moi, mais j'ai refusé ce que je ne
pouvais pas faire auparavant. Mais n'empêche, je consultais un pschologue
car j'avais besoin d'extirper ce lourd fardeau qui a empoisonné
ma vie, j'avais besoin de parler à quelqu'un. "
Mariétou
revit, mais cette brèche qui s'est ouverte dans sa vie reste intacte
dans sa mémoire, car possédée ou non par un "rab", elle a été malade
mentalement. Elle a concilié la médecine moderne et la médecine
traditionnelle, et ne s'en porte que mieux.
NDAKHTÉ
DIAGNE, TRADIPRATIENNE
"Les rabs et les "djins" vivent parmi nous"
Ndakhté
Diagne fait partie des "ndeupkats" les plus connues au Sénégal.
Originaire d'une famille léboue, cette aide soignante de l'hôpital
Abass Ndao de Dakar, a organisé son premier "ndeup", séance incantatoire
où l'on exorcise les "rabs", à l'âge de 16 ans. Elle est le "chouchou"
des "djins" et "rabs" qu'elle a su amadouer à travers ses offrandes.
Elle dirige l'association des tradipraticiens du Sénégal qui essaie
de suivre les pas de leurs aînés à l'image de Daouda Seck, décédé
récemment.
-Vous faites partie des tradipraticiennes les plus célèbres de Dakar,
comment en êtes-vous venue à être une ndeupkat?
-Je suis issue d'une famille léboue. Mes parents et grand parents
possédés par des "rabs" ont eu à faire des ndeups. Dans nos familles
lébous, cela est héréditaire. Ceux qui ne respectent pas les rabs
ou ne font pas des sacrifices pour eux, risquent de grincer les
dents. J'ai des oncles qui l'ont appris à leurs dépens. Ils ont
voulu tourner le dos à notre tradition en détruisant les "xambs"
et les "turrs" implantés chez nous et se sont retrouvés avec une
paralysie à vie, et ont des difficultés pour s'exprimer. De mon
côté, j'essaie d'amadouer ces esprits surnaturels par le biais des
offrandes. Le rab m'est apparu à l'été de mes 16 ans. A l'époque,
je venais de débuter ma carrière d'aide soignante à l'hôpital de
Abass Ndao. Le rab m'empêchait de travailler. J'avais l'impression
qu'un nuage s'était emparé de mon esprit car tout était flou. Par
la suite, je me suis rapprochée de la célèbre "ndeupkat", Fatou
Diouf, qui m'a initié à la pratique. Certains que j'ai intégré le
rang des "ndeupkats". Mais c'est lorsque j'ai mis au monde mon premier
enfant, qu' un "ndeup" a été organisé pour moi. Les "rabs" m'ont
dit après que je ne pouvais plus avoir une nombreuse progéniture,
que je n'aurai droit qu'à deux enfants. Ils ont décidé de me priver
d'enfants pour me combler de richesses, m'ont ils dit.
-Vous êtes tradithérapeute et vous avez eu à soigner des malades
mentaux qui, semble t-il, n'ont pas pu recouvrer leur santé avec
la médecine moderne. Pouvez-vous nous en parler?
-Il
faut que les gens sachent que la guérison de certaines maladies
mentales est du ressort de la médecine traditionnelle. Elles resteront
incurables si elles ne sont traitées que par la médecine moderne.
Le tradithérapeute, Feu Daouda Seck, a eu à le prouver lorsqu'il
a eu à collaborer avec le professeur Henri Collomb de Fann (Ndlr:
psychiatre français). Une femme possédée par des esprits surnaturels
était hospitalisée, pour troubles mentaux, pendant plus de 6 mois
à l'hôpital psychiatrique de Fann, sans que son état ne s'améliore.
Il a fallu que Daouda Seck passe une nuit avec elle et procède à
un ndeup pour qu'elle se rétablisse. Bon nombre de maladies mentales
sont l'oeuvre de "rabs" ou de "djins", et la guérison de ces pathologies
relève du domaine de la médecine traditionnelle.
-Doit-on en déduire qu'il existe et des rabs et des djins?
-Les rabs et les djins ont toujours existé. Dieu les a crées. lIs
ont été conçus à l'image des hommes, certains sont bons, d'autres
mauvais, ce sont les mauvais qui cherchent à nuire aux hommes. Cela
est même mentionné dans le Coran. Si le djin se manifeste à l'homme
sous des formes effrayantes, le rab quant à lui pénètre l'homme.
Il végète les projets de l'individu dont il s'est emparé le corps,
lui fait perdre la raison, l'empêche de se marier ou d'avoir une
progéniture. Ceci est valable pour les personnes que le rab a croisé
et avec qui il veut s'unir. Dans ce cas, on parle de "faru rab"
ou de "thioro rab" différent du rab qui est uni à une famille par
un pacte comme c'est le cas avec les lébous, les sérères pour ne
citer que ceux là. Il inflige des sanctions sèvères aux personnes
qui ne respectent pas le pacte signé avec les ancêtres ou qui décident
de le rompre. Sa colère peut se traduire par une paralysie, une
folie, un échec dans toutes les entreprises, la privation de la
vue. L'individu qui essuie la colère du rab peut assister à des
scènes qui relèvent de l'imaginaire. Le rab peut lui jeter des pierres
sans pour autant qu'il ne le voit, il peut renverser la marmite,
mettre le feu chez lui. Pour lui manifester sa colère, il peut également
l'ébouillanter, tuer ses enfants, ou lui en priver.
-Pourquoi ces esprits surnaturels éprouvent-ils le besoin de cohabiter
avec les êtres humains?
-Ces
esprits ne vivaient auparavant que dans la brousse, la forêt. Ce
sont les lébous qui les ont rencontrés dans ces zones, c'est pourquoi
ils "descendaient" sur les lébous. Ces endroits ont été transformés
en lieu d'habitation. Les hommes les ont aménagés et y vivent. Les
"rabs" sont ainsi devenus des génies protecteurs, des voisins et
des doubles de l'homme. Ils ont pénétré dans chaque individu. Ils
veillent dans chaque maison et apparaissent la nuit sous formes
diverses. Ils peuvent prendre l'aspect d'un coq avec ses poussins,
d'un marabout avec ses disciples, d'un mouton, d'une chèvre, d'un
éléphant, d'une vache, d'un serpent ou même d'un lion. Chaque maison
a son "rab" tout comme chaque personne en possède un. Les "rabs"
sont également à l'origine des multiples accidents enregistrés en
masse ces temps ci dans notre pays, c'est eux qui causent aussi
les nombreuses disparitions en mer des pêcheurs car, les "rabs"
veulent qu'on fasse des offrandes, ce que la majeure partie des
Sénégalais ne font pas. Il faut faire des sacrifices, car les rabs
sont là et sont très exigeants.
-On
a l'impression que les rabs existent seulement en Afrique et non
dans les autres parties du monde à l'instar de l'Europe ou de l'Amérique,
alors qu'ils sont censés pénétrer tout être humain? Certains ne
semblent pas y croire.
- Bien sûr que non! Pour preuve, les blancs tendent de plus en plus
à venir en Afrique pour se soigner, se départir de mauvais esprits
qui les handicapent. J'ai été récemment au Brésil où le "ndeup"
fait partie des thérapies. Pour vous dire que les Brésiliens, à
titre d'exemple, croient aux rabs. Ces derniers se manifestent aussi
bien chez les Africains que chez les Européens, les Américains,
les Asiatiques et autres. Seulement eux, contrairement aux africains,
internent les malades dont la pathologie s'est avérée inguérissable
dans des asiles alors qu'ils sont possédés par des rabs. Des américains
conscients de ce phénomène, étaient venus spécialement à Dakar la
semaine dernière pour profiter des séances de "ndeup". Les rabs
sont partout, ils sont chez les bambaras, les hal pulars, les sérères,
les diolas, en Asie, en Amérique, etc.
-Vous parvenez , comme vous l'avez dit, à exorciser ou à calmer
des esprits surnaturels pour libérer les individus qui ont été sous
leur emprise. Est-ce que vous avez déjà vu un rab ou un djin de
vos propres yeux?
-Je communique avec les rabs. Ils sont partout et parmi nous. Souvent,
les rabs me réveillent la nuit pour que nous discutions, ils prennent
la forme de grandes personnalités religieuses. Ils me prodiguent
des conseils. Les rabs ne s'adressent pas uniquement aux "ndeupkats",
ils peuvent converser avec n'importe quel individu sans que celui
ci ne s'en rende compte. Dans les bars, les lieux de rencontre,
le "rab" sous un aspect d'un être humain bien habillé peut se mettre
sur la même table et discuter comme tout individu normal, à la seule
différence que ses pieds sont recouverts de poils. Idem pour les
"djins" qui vont chaque jour au marché, ils s'entremêlent aux individus
qui ne les reconnaîtront pas alors que leur visage est déformé,
ils assistent également aux grandes cérémonies familiales.
-Est-ce à dire que les djins tombent sur le poil aux personnes qui
les reconnaissent dans la foule?
-Les
djins ne terrifient l'homme que lorsqu'il est tout seul. Ils peuvent
apparaître comme des fourmis, des abeilles etc. Ce sont les rabs
qui se donnent du plaisir à faire échouer les projets, faire perdre
à quelqu'un son poste de travail et dresser des barrières sur le
chemin qui doit mener l'individu à la réussite. Elles sont malheureusement
nombreuses les personnes qui sont possédées par les rabs à leur
insu. Il faut qu'elles sachent que ces esprits existent et font
partie de notre quotidien. On doit faire des sacrifices et des "tuurs"
dans les mers, pour calmer les esprits. Matel BOCOUM
Lire
l'article original : www.sudonline.sn/archives/22042002.htm
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