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Après environ 18 mois de guerre, une visite au CHU de Bouaké nous
a permis d'avoir une vision de la réalité. Au-delà des prestations
de services qui ont totalement repris, les consultations et interventions
chirurgicales sont gratuites.
Bouaké. Mercredi 14 avril. Après une pluie diluvienne, qui a entraîné
une coupure d'électricité la veille et qui a emporté des toits de
maisons et déraciné des arbres, la ville du Maire Fanny Ibrahima
tarde à retrouver son train-train habituel. 8h30, le CHU grouille
déjà de monde, "Si tu ne viens pas vite, il sera difficile pour
toi d'être reçu. Il y a du monde. Depuis 6h30, je suis-là", nous
indique Dame Kouassi Amenan Odette. Elle vient de terminer sa consultation
prénatale. Le flux des malades et leurs parents s'intensifiait au
fil du temps.
Pourtant, le personnel administratif et une grande partie du personnel
médical avaient abandonné les malades et autres blessés de guerre
au début de la rébellion armée pour "des cieux plus cléments". Seules,
quelques personnes avaient décidé d'assumer pleinement le serment
d'Hippocrate, celui de servir en tout lieu et en tout temps les
malades et les blessés, sans exclusion. Un membre du corps médical
qui a requis l'anonymat, a accepté de nous faire visiter le CHU
de Bouaké.
Première étape, ''les Urgences médicales''. Le lieu est plein à
craquer. Deux malades sont couchés dans le couloir, faute de place.
Un jeune médecin consulte et prescrit des soins et rassure les parents
des malades.
"Merci Docteur, vraiment l'homme n'est rien sans les autres", lance
une jeune Dame dont la mère, une octogénaire, venait de recevoir
des soins.
Seconde étape, le Service de ''Gynécologique-obstétrique''. La salle
d'accouchement est interdite à toute personne étrangère du corps
médical. Notre guide du jour qui s'y introduit affirme que les tables
d'accouchement sont toutes occupées. A peine est-il de retour que
le cri strident d'un nouveau-né occasionne de l'animation dans la
salle d'attente. Et des femmes de pronostiquer sur le sexe du nouveau-né.
Au premier niveau du bâtiment, trois médecins gynécologues consultent
les patients. "Chaque gynécologue consulte 20 à 30 patientes par
jour", précise le vigile. Personne ne veut parler à visage découvert
parce que le personnel est sous le couvert de l'organisme Médecin
Sans Frontières (MSF).
300 interventions chirurgicales par mois
A l'entrée des "Urgences médicales", une affiche de MSF indique
que les consultations, les actes chirurgicaux, les médicaments sont
gratuits. "Si quelqu'un vous exige de l'argent, saisissez le bureau
de MSF", précise la note d'information signée de Laurent Sabard,
responsable de mission MSF-France Bouaké.
M. Koné Moussa, mécanicien de son état, dont l'épouse vient d'accoucher
par césarienne, tôt ce matin-là confirme n'avoir rien payé. A 10h12,
il reçoit une ordonnance et met le cap sur la pharmacie au sein
même du service de Gynécologie. Sur présentation de l'ordonnance,
les médicaments lui sont servis. De là, nous nous rendons aux Urgences
chirurgicales. L'heure n'est pas au repos. Médecins, Infirmiers,
Aide - soignants, Garçons de salle, Brancardiers, chacun s'affaire.
Le petit Achille, 10 ans, a failli perdre sa jambe suite à la pluie
torrentielle de la veille. "Quand il pleuvait, Achille s'est retrouvé
à côté de la clôture qui, sous la pression de la pluie, s'est écroulée
sur lui, fracassant une jambe. Nous l'avons conduit ici (Ndlr :
en Chirurgie), on ne nous a pas demandé de l'argent et on l'a soigné",
témoigne sa mère. Plusieurs malades et parents interrogés ont reconnu
la gratuité des prestations. Les vieilles habitudes ayant la peau
dure, la rumeur d'extorsion d'argent, par une partie du personnel
soignant avait fait le tour de toute la capitale du Centre. MSF-France
a dû réagir vigoureusement, en multipliant les annonces appelant
les malades et leurs parents à dénoncer les agents véreux. Tout
semble maintenant rentrer dans l'ordre. Le CHU de Bouaké n'est plus
un centre de distribution d'ordonnances aux patients indigents,
comme c'est le cas dans le service publique.
Dans les salles d'hospitalisation de la chirurgie (traumatologie
digestive), dernière étape de notre randonnée, tous les lits sont
occupés. Là, nous découvrons trois malades qui ont fuit la cherté
des services médicaux dans les zones sous le contrôle gouvernemental
pour se faire opérer gratuitement au CHU de Bouaké. Le premier est
venu de Yamoussoukro, le second de Konéfla, dans la région de Sinfra
et le troisième de Daoukro. Deux soufraient d'hernie et un d'appendicite.
Dans leurs localités d'origine, des médecins leur réclamaient, respectivement
150.000 F, 120.000 F et 140. 000 F. Dans le pavillon du bas, on
retrouve beaucoup de mutilés. Alidou Coulibaly, 20 ans, s'est fait
broyer l'orteil gauche avec un fusil calibres 12. Au deuxième niveau
du pavillon, un jeune homme, victime d'un accident de la circulation,
depuis plusieurs semaines, attend ses parents. Après plusieurs heures
de visites, le constat est que les principaux services sont ouverts
mais, il n'y a pas de spécialités. Une situation que Laurent Sabard,
responsable de la mission MSF-France/ Bouaké explique : "En prenant
en charge ce CHU, le 13 octobre 2002, notre objectif était de ne
prendre en charge que les urgences, avec un accès aux soins pour
toutes les populations. C'est pour cela que les soins, les consultations
et les médicaments sont gratuits. On n'a pas ouvert tous les services
parce que le CHU est grand. Lorsque quelqu'un arrive pour une intervention
chirurgicale, non seulement l'acte est gratuit, mais il repart avec
des médicaments". Et M. Sabard d'ajouter : "Nous réalisons mensuellement
300 interventions chirurgicales, 500 accouchements, 800 hospitalisations
et environs 7.000 consultations externes, tous services confondus.
Précisons que nous avons ouvert deux postes de santé : Belleville
et Dar-Es - Salam. Dans ces postes, nous faisons les consultations
ordinaires, les vaccinations et les consultations prénatales. Les
médicaments y sont également gratuits. Sur les 7.000 consultations
externes, 3.000 sont réalisées dans ces deux postes de santé". A
l'en croire, on dénombre 70 lits en chirurgie, 20 en Médecine générale,
40 en Pédiatrie et 31 en Gynécologie - maternité. Les 202 membres
du personnel sont à la charge de MSF-France. Médecins, Sage - femmes,
Garçons de salle, techniciens de surface etc... ne sont pas des
salariés, mais des prestataires de service. "Avec ce que je gagne
chez MSF je n'ai plus besoin de me rendre à Yamoussoukro pour toucher
mon salaire avec tous les risques d'assassinat qui planent sur nos
têtes. Par la grâce de Dieu et de MSF, on tient la route", confie
une sage-femme, fonctionnaire de son état.
"Un médecin ne choisit pas son patient"
Il est l'un des médecins par qui tout Bouaké jurait aux heures
chaudes de la rébellion armée. Certains l'appellent affectueusement
le "médecin rebelle". Lui ne s'en offusque point. "Si être rebelle
est le fait de soigner les populations vulnérables de Bouaké, alors,
je le suis. Je suis resté parce que j'estime que la population avait
besoin de moi. J'ai soigné des soldats du Mouvement Patriotique
de Côte d'Ivoire (MPCI). Des soldats dits "loyalistes", blessés
ont été soignés par moi-même. Un adjudant dont je tais le nom, grièvement
blessé, a eu la vie sauve grâce à moi. Il se reconnaîtra certainement
entre ces lignes. Des Officiers faits prisonniers de guerre étaient
suivis médicalement. J'étais à leurs petits soins. Aujourd'hui,
certains me sont reconnaissants et m'appellent régulièrement. Un
médecin n'a pas le droit de choisir son patient. Il n'y a pas de
blessés ou malades loyalistes ou rebelles". Dr Kouyaté, affirme
sans ambages, que c'est grâce à lui que la Faculté de Médecine de
Bouaké ou UFR des Sciences Médicales n'a pas été pillée. Aujourd'hui
elle est surveillée par des éléments des Forces Nouvelles. "Lorsque
des enseignants ont besoin de documents, ils m'appellent et je leur
envoie ce dont ils ont besoin", dit-il, l'air amusé. Il consulte
au sein du CHU et est l'homme à tout faire du bureau de santé des
Forces Nouvelles. Selon lui, sa structure a réouvert des établissements
sanitaires tels que la PMI de Sokoura et l'hôpital général de Béoumi.
"Ceux qui travaillent, pour les Forces Nouvelles, ne sont pas payés,
c'est du volontariat. Dans nos centres, les soins et les consultations
sont gratuits. Nos médicaments sont des dons d'amis généralement
de l'extérieur", précise Dr Kouyaté.
Si en ville MSF soulage les populations, la situation sanitaire,
dans les villages, est encore beaucoup préoccupante.
Coulibaly Brahima (Envoyé Spécial)
Lire l'article original : http://lepatriote.net/lpX3.asp?action=lire&rname=Sommaire&id=9269
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