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En prélude aux premières Journées nationales de
l'audition, le secrétaire général de la société ivoirienne d'oto-rhino-laryngologie
(SIORL) nous situe l'importance de l'audition. Vous organisez les
21 et 22 mai, les premières Journées nationales de l'audition.
Fraternité Matin : Qu'est-ce
qui justifie cette rencontre ?
Dr Joseph Boguifo :
L'audition occupe une place importante dans la vie des relations
que nous avons les uns avec les autres. Il faut savoir que c'est
grâce à l'audition que vous et moi nous pouvons communiquer. En
dehors de l'aspect de communication, l'audition a une fonction importante,
une fonction d'alerte et de vigilance. C'est grâce à l'audition
qu'on entend, par exemple, un coup de feu dans la rue et qu'on peut
prendre ses dispositions pour se protéger. Il est très important
pour l'homme, pour son équilibre psychologique, qu'il soit informé
de tout ce qui se passe autour de lui. C'est cela l'importance de
l'audition dans notre vie sociale et notre vie de tous les jours.
Par rapport à cela, nous constatons qu'on ne prend pas suffisamment
soin de cet organe, qui est un organe très important. Dans le milieu
scolaire par exemple, l'organe le plus important pour les élèves,
c'est l'ouïe. Quand un élève n'entend pas, il ne sert à rien pour
lui d'aller à l'école, car il ne pourra pas enregistrer les informations
que lui transmet l'enseignant.
Et nous constatons qu'il y a beaucoup de mauvais
résultats scolaires uniquement parce que l'enfant n'entend pas bien.
Il n'en est même pas conscient. Quelque-fois, c'est l'enseignant
qui va faire comprendre aux parents que leur enfant a tel ou tel
autre problème. C'est pour vous situer simplement sur l'importance
de l'audition dans notre vie de tous les jours (vie sociale, professionnelle…).
Et c'est par rapport à cela que nous avons jugé important d'organiser
en Côte d'Ivoire (comme cela se fait ailleurs), des journées nationales
de l'audition, d'abord pour sensibiliser les uns et les autres à
ce problème, ensuite attirer l'attention des enseignants, des élèves
et des parents sur les problèmes de l'audition dans le milieu scolaire
et, enfin, faire des dépistages afin de voir, en prenant une catégorie
de personnes au hasard, quelles sont les personnes qui présentent
des problèmes d'audition et que nous pourrions sauver.
Fraternité Matin : L'audition
est très importante, dites-vous. L'est-elle plus que les yeux ?
Dr Joseph Boguifo :
Les deux sont des organes de sens. Mais vous serez surpris d'apprendre
que le sourd se suicide plus facilement que l'aveugle. L'aveugle,
on le flatte. On est attentionné pour lui. On a tendance à lui porter
secours dès qu'on le voit. Mais le sourd, on se moque de lui. On
dit c'est "bobo". Il est obligé d'être dans son coin. On a tendance
à lâcher son interlocuteur dès qu'on constate qu'il a des problèmes
d'audition, qu'il a des difficultés pour comprendre. On a tendance
à rabrouer le sourd, à se moquer de lui. La société ne fait pas
de cadeau aux sourds. Et le sourd lui-même se rend compte rapidement
qu'il est rejeté et il a automatiquement tendance à se replier sur
lui-même. C'est vous dire que le sourd, plus que l'aveugle, vit
très mal les conséquences de son état. Mais, bien sûr, les yeux
comme les oreilles sont des organes de sens qui nous mettent en
communication avec le monde extérieur dont nous avons besoin pour
notre équilibre de façon générale.
Fraternité Matin : Comment
vont se dérouler ces Journées ?
Dr Joseph Boguifo :
Il y aura deux journées. La première sera consacrée beaucoup plus
aux élèves et aux étudiants. Nous allons aussi organiser une conférence
grand public pour informer toutes les personnes qui s'intéressent
aux problèmes de l'audition, sur les troubles de l'audition et sur
ce qu'on peut faire pour réparer, éventuellement, les lésions qui
existent ou même les prévenir. La seconde journée sera consacrée
à toutes les personnes qui ont des problèmes d'audition et qui veulent
en savoir davantage. Il y aura une centaine de médecins sur place
qui feront des tests rapides pour détecter les insuffisances éventuelles
que porteraient des gens. Il y aura aussi une équipe pour informer
sur l'audition. Nous organisons ces journées avec un partenaire,
opérateur de téléphonie cellulaire, Orange, qui avec nous, s'intéresse
à l'oreille. Elles auront lieu au Palais de la culture, sous le
parrainage du ministre d'Etat, ministre de la Santé.
Fraternité Matin : A
quoi, généralement, sont dus les troubles de l'audition ?
Dr Joseph Boguifo :
Il y a des causes multiples. Il y en a de toutes bêtes : un simple
bouchon de l'oreille par exemple. Il y aussi des infections, des
oreilles qui coulent (surtout chez les enfants). Il y a des causes
beaucoup plus sérieuses dont l'atteinte d'un nerf au niveau de l'oreille,
une tumeur ou même certains médicaments. Nous classons donc les
maladies d'oreille en deux grands groupes. Il y a celles qui sont
simplement dues à des difficultés de transmission de son : il y
a un obstacle qui fait que le son qu'on émet ne peut pas être transmis
correctement. Généralement, ce genre d'infection, nous le traitons
sans trop de problème. Il faut soit laver l'oreille, soit enlever
une petite tumeur… Il y a ensuite les difficultés de perception.
Là, c'est beaucoup plus sérieux ; c'est l'oreille interne qui est
malade et ça atteint les nerfs et les cellules neuro-sensorielles
qui sont la partie la plus noble, la plus délicate de l'oreille.
Fraternité Matin : Les
troubles de l'audition peuvent-ils avoir un caractère héréditaire
?
Dr Joseph Boguifo :
Dans ce qu'on appelle les surdités de perception, il y a parfois
un caractère héréditaire.
Fraternité Matin : Peut-on
prévenir les troubles de l'audition ?
Dr Joseph Boguifo :
Si, et c'est pour cela justement que nous faisons cette campagne
de dépistage et d'information. Nous constatons aujourd'hui qu'il
y a un grand danger : c'est le bruit, les sons forts… Aujourd'hui,
vous avez des enfants qui se mettent des walkman dans l'oreille
et ils se l'envoient à fond la caisse, ou alors dans les boîtes
de nuit, il y a la musique tonitruante. Tout cela entraîne des traumatismes
de l'oreille, des traumatismes sonores. Il y a des maquis qui envoient
constamment des décibels partout, provoquant des traumatismes sonores
qui vous détruisent les oreilles, parfois de façon irréversible.
Nous avons tous fait l'expérience de sortir d'une boîte de nuit
et pendant quelques heures de constater qu'on est comme dans du
coton : on n'entend pas bien, jusqu'à ce que l'oreille récupère
petit à petit. Mais parfois l'oreille peut ne plus jamais récupérer.
Il faut informer les gens sur ces mauvaises façons de se comporter,
ces mauvaises pratiques qui exposent l'oreille. Il y a aussi les
milieux professionnels. Vous avez des usines où les gens travaillent
avec du bruit, dans une ambiance sonore très forte, sans protection
au niveau de l'oreille. Quelqu'un qui travaille dans une ambiance
sonore très forte finit irrémédiablement par se détruire l'oreille.
Il faut tenter de prévenir tout cela. Et en tant que spécialistes
de la question, il est de notre devoir d'informer et de faire en
sorte que nous puissions prendre les dispositions pour pouvoir prévenir.
Fraternité Matin : Vous
avez pour partenaire une compagnie de téléphonie cellulaire alors
qu'il se dit beaucoup de choses sur ce type de communication. C'est
surprenant, non ?
Dr Joseph Boguifo :
Il y a effectivement beaucoup de choses qui se disent à ce propos.
Mais à ce jour, nous n'avons rien de probant permettant d'affirmer
de façon claire et définitive ce genre de choses. Mais c'est une
préoccupation aussi bien pour les maisons de téléphonie cellulaire
qui s'intéressent beaucoup à la question que nous. Des personnes
mieux averties diront que les fréquences auxquelles sont émises
les différentes ondes ne sont pas dangereuses pour les oreilles.
Mais il faut savoir que toute exposition pendant longtemps, dans
des conditions non adaptées, peut entraîner des lésions. Il faut
savoir de toutes façons que tout excès nuit. Même la simple consommation
de jus de fruit de façon abusive peut provoquer un diabète. Ce n'est
pas pour autant qu'on dira que les jus de fruit entraînent le diabète.
Tout excès nuit. Cela demande tout simplement que chacun prenne
des dispositions. Par rapport à cela, nous nous sommes intéressés
à la maison de téléphonie cellulaire ; elle aussi s'est intéressée
à nous. Cela veut dire que nous partageons une même vison : celle
de protéger les oreilles des gens. Il faut savoir que cette question
préoccupe beaucoup de scientifiques ; il y a beaucoup de travaux
qui se font là-dessus. Il y a ceux qui accusent la téléphonie cellulaire
et il y a ceux qui disent que jusqu'à présent aucune étude sérieuse
ne permet de démontrer grand-chose, sauf dans des conditions particulières.
Fraternité Matin : Faut-il
faire des soins de l'oreille un comportement ?
Dr Joseph Boguifo :
Quelle programmation faudrait-il adopter D'abord, si on constate
à son propre niveau ou au niveau de nos enfants qu'on est amené
quelquefois à répéter une fois ou deux, il faut aller consulter
un spécialiste. Quand vous êtes devant la télévision et que vous
êtes obligé d'augmenter le son (parfois on le fait de façon machinale),
il faut aussi s'interroger. Au niveau des parents, nous conseillons
qu'à chaque rentrée scolaire, ils fassent faire des tests auditifs
à leurs enfants. Il est bon de savoir si l'enfant entame l'année
en ayant un organe important, l'audition, qui est prêt à jouer son
rôle. Cela permettra de détecter une éventuelle anomalie qui pourrait
lui faire rater son année scolaire.
Fraternité Matin : Avez-vous
déjà évalué la prévalence des troubles de l'audition au sein de
la population ivoirienne ?
Dr Joseph Boguifo :
Cela nous préoccupe. Nous avons d'ailleurs l'intention, au cours
de ces journées, d'instaurer un registre pour recueillir le maximum
d'informations possibles. Vous savez, il faut d'abord pouvoir informer
la population. Il y a des gens qui ont des problèmes d'oreilles,
mais qui ne savent même pas qu'il existe des spécialistes oto-rhino.
Ils ne savent même pas où se faire soigner et ils vivent avec leur
problème. Ils s'en réfèrent souvent à leur médecin de quartier et
ils n'ont pas la bonne information. Il y a donc un travail de vulgarisation,
de diffusion de l'information à faire pour arriver plus tard à avoir
une idée par rapport à notre population. Cela ne saurait tarder.
Elvis KODJO
Lire l'article original : http://www.fratmat.co.ci/content/detail.php?cid=1O810m5Ijj6
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