| Il serait donc possible
d’attraper le sida, ou une nouvelle maladie aux manifestations
similaires, en manipulant de la viande de brousse. Notamment la
chair des grands singes (gorilles, mandrills et autres cercopithèques).
C’est une nouvelle qui circule en réalité depuis
le mois de mars dernier dans les milieux scientifiques internationaux,
après sa publication dans la revue américaine "The
Lancet" et sur divers sites Internet. Elle ne vient que de
s’ébruiter au Cameroun et en Afrique centrale, dans
les aires géographiques les plus directement concernées.
Mais le fait est là. Des chercheurs américains, conduits
par Nathan Wolfe de l’université John Hopkins de Baltimore
(Maryland), et des Camerounais, sous la direction du médecin
colonel Eitel Mpoudi Ngole de l’hôpital militaire de
Yaoundé ont récemment fait ensemble, cette découverte
qui pourrait compliquer davantage la recherche d’un médicament
contre le sida. Elle apporte en tout cas, des arguments nouveaux
au sujet de l’origine animale du VIH.
Selon des propos de Nathan Wolfe, le chef d’équipe,
publiés dans la revue "New scientist", "la
transmission des rétrovirus entre l’homme et le singe
est un phénomène courant qui mérite d’être
pris au sérieux." Pour le cas d’espèce,
une enquête a été menée au sein d’une
dizaine de communautés rurales du Cameroun. Elle révèle
que sur 1800 personnes examinées, 1100 avaient été
en contact avec du sang et d’autres liquides organiques issus
de singes. Et sur ces 1.100 personnes, 10 présentaient des
anticorps à une famille de virus appelés les "spumavirus",
ou en anglais : Simian foamy virus (SFV). Des virus de la même
famille que le VIH, qui jusqu’ici n’étaient connus
que chez les singes.
Les personnes infectées au Cameroun avaient été
en contact avec trois espèces de primates (gorilles, mandrills
et cercopithèques de Brazza). Un contact qui aurait été
établi par la manipulation de carcasses d’animaux abattus,
ou à la suite d’une morsure par des animaux blessés.
D’après les articles, ces personnes présentaient
des signes d’infection au VIH, mais les tests se sont avérés
négatifs aussi bien au VIH qu’au SIV, son équivalent
chez les singes.
Nouvelle souche du VIH, ou nouvelle épidémie en perspective
? Les scientifiques ne s’accordent pas encore. Connaissant
la longue période d’incubation de cette famille de
virus, il est peut-être encore trop tôt pour tirer les
conclusions. Mais la vigilance s’impose. Les consommateurs
de viande de brousse et surtout les chasseurs sont donc avertis.
A l’hôpital militaire de Yaoundé, une campagne
de sensibilisation a été lancée depuis quelques
mois par l’équipe du colonel Mpoudi Ngole. Mais peut-être
faut-il des actions plus visibles pour faire connaître les
risques réels qui existent pour tous ceux qui vivent auprès
des singes.
Yves ATANGA
Lire l'article original : http://207.234.159.34/article.php?lang=Fr&oled=j02112004&idart=20239&olarch=j01112004&ph=y
"Peut-être une
nouvelle souche", l’éclairage du Dr. Léopold
Zekeng, secrétaire permanent du Comité national de
lutte contre le sida- Cameroon
tribune - Cameroun - 01/11/2004
Cameroon tribune : Les
autorités camerounaises ont-elles été informées
des travaux de l’équipe de chercheurs américains
?
Docteur Léopold
Zekeng : Le ministère de la Santé publique
et le Comité national de lutte contre le sida ont reçu
ces travaux quelque temps avant leur publication officielle. Les
chercheurs ont effectivement réservé la primeur aux
autorités camerounaises. Et nous avons donné notre
accord par rapport à la publication.
Cameroon tribune : Au vu des
conclusions, le lien entre le SFV et le VIH est-il clairement démontré
dans cette étude ?
Docteur Léopold
Zekeng : Ces virus font tous partie de la même famille.
L’article auquel vous faites allusion montre effectivement
qu’on retrouve chez les hommes des anticorps dirigés
contre le SFV. Mais pour l’instant, ces personnes-là
sont encore asymptomatiques. Il va falloir les suivre pour voir
dans le temps, comment ils vont évoluer par rapport à
leur immunologie, par rapport à la pathologie. C’est
là l’intérêt : rechercher de façon
globale si ces gens n’ont pas des anticorps dirigés
contre ce virus, mais aussi les suivre au plan clinique pour voir
s’ils arrivent à développer la maladie. Et au
cas où ils la développeraient, voir s’ils sont
sensibles aux différents antirétroviraux qui sont
actuellement utilisés. Et pour l’instant, ils ne développent
pas de maladie.
Cameroon tribune : Quelle est
l’ampleur de ce type de transmission aujourd’hui ?
Docteur Léopold
Zekeng : D’abord, on pense que la prévalence
chez les singes est relativement faible. Ensuite, ce n’est
pas une transmission qui arrive tous les jours. De façon
globale, on sait que le VIH, qui est le virus de l’immunodéficience
humaine, fait partie d’un groupe de virus qu’on appelle
les rétrovirus. Chez les primates, notamment les singes,
on trouve des virus de la même famille qu’on appelle
les SIV (Soamian inmunodeficency virus). Les VIH, les SIV et une
autre catégorie de virus sont responsables de l’immunodéficience.
Si un individu est contaminé par le VIH, à un moment
donné, son système de défense va être
attaqué. En revanche, chez les primates, les singes en particulier,
15 à 20% vont héberger un SIV qui leur est propre.
Chaque espèce héberge ainsi un rétrovirus avec
lequel il vit en équilibre, sans jamais développer
la maladie. Mais si l’on prend le SIV du singe vert pour l’inoculer
au chimpanzé, ou vice-versa, dans une période de deux
à trois semaines, ce changement d’hôte va développer
un syndrome équivalent à l’immunodéficience,
un sida comme celui qu’on voit chez l’Homme.
Cameroon tribune : A quel moment
l’Homme intervient-il ?
Docteur Léopold
Zekeng : C’est de là qu’est partie l’hypothèse
de ce qu’on appelle aujourd’hui la transmission inter
espèces. On pense très sincèrement que ce qu’on
voit chez l’Homme aujourd’hui s’est passé
il y a plusieurs centaines de millions d’années chez
les singes. Le virus chez le singe serait passé, non pas
une fois, mais environ cinq à sept fois du singe à
l’Homme, pour développer ce qu’on appelle immunodéficience
humaine. Cela amène donc à montrer l’origine
animale du sida. Des études récentes l’ont démontré
: quand on regarde un HIV, groupe N, que nous ne trouvons qu’au
Cameroun, on se rend compte que ce virus a des morceaux de virus
humains et des morceaux de virus qu’on retrouve chez les singes.
On se rend compte aussi que les virus SIV qu’on identifie
chez les chimpanzés sont très proches du HIV, avec
une homologie de près de 95%. De même, les virus qu’on
rencontre chez le singe vert sont très proches du HIV 2,
qu’on retrouve en Afrique de l’Ouest. Ce sont ces éléments
qui nous permettent aujourd’hui, sur la base de la transmission
inter espèces, de penser que le VIH a une origine, non pas
de manipulation bactérienne, mais plutôt simienne.
Toute la communauté scientifique s’accorde là-dessus.
Cameroon tribune : Au cours
de cette recherche, les personnes infectées par le SFV étaient
séronégatives aux tests VIH et SIV. Cela ne compliquerait-il
pas le traitement, au cas où le lien avec le sida était
finalement établi ?
Docteur Léopold
Zekeng : Quand on observe les rétrovirus, ils sont
d’une très grande variabilité. Ils mutent beaucoup.
Même au sein d’un individu qui est infecté, si
vous isolez son virus dans le temps, vous vous rendrez compte que
cinq ou dix ans après, il n’est plus exactement le
même. La deuxième caractéristique de ce virus,
c’est qu’il est très recombigène. C’est-à-dire,
qu’il a la possibilité de développer ce qu’on
appelle des recombinants. On peut donc y trouver un morceau qui
appartient à ce groupe et un qui appartient à un autre
groupe. La conséquence est que cela peut effectivement compliquer
les problèmes de diagnostic. Il peut très bien arriver
dans tout ce processus de mutation une nouvelle souche virale, que
malheureusement les tests actuels ne détectent pas. C’est
une hypothèse. On peut imaginer aussi que ces virus arrivent
à muter au point où les antirétroviraux actuellement
utilisés n’arrivent plus à agir contre eux.
Mais la preuve n’a pas encore été apportée
à ce sujet.
Cameroon tribune : Aujourd’hui,
quelles sont les premières mesures qui vont être prises
?
Docteur Léopold
Zekeng : Les implications de santé publique seraient
de dire aux gens d’arrêter de chasser et de braconner.
Mais avons-nous mis en place des solutions éducatives, pour
effectivement informer les gens ? Avons-nous mis en place des solutions
économiques ? N’oublions pas que ce commerce-là
est très lucratif. Vous voyez tout ce que cette chasse du
gibier rapporte de façon globale. Si l’on veut véritablement
aborder cette problématique, il faut à la fois éduquer
les populations sur les risques que cela comporte, et envisager
des solutions économiques. Si les gens ne vont plus chasser,
qu’ils aient des activités de compensation, qu’ils
aient d’autres sources de protéines. Certaines parties
de ces animaux-là sont également utilisées
à but thérapeutique. Il faut faire de la prévention,
mais c’est une prévention qui implique à la
fois le CNLS, les ministères de l’Elevage, de l’Environnement
et des Forêts. Il s’agit d’éduquer, d’informer
la population sur les risques encourus quand on vit avec ces animaux
ou quand on les chasse. Mais c’est une solution qui n’est
pas simple. La transmission inter espèces est aujourd’hui
démontrée. On sait comment le sida est passé
du singe à l’Homme. Plusieurs enquêtes et études
l’ont prouvé. Mais comme je le dis, il y a des dimensions
économique et culturelle qu’il ne faut pas négliger.
Yves ATANGA
Lire l'article original : http://207.234.159.34/article.php?lang=Fr&oled=j02112004&idart=20221&olarch=j01112004&ph=y
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