Le
ministre de la Santé et de la Prévention, le Pr Awa Marie Coll Seck,
une spécialiste des maladies infectieuses, était, mercredi après-midi,
l’invitée de notre rédaction. À cette occasion, Mme Coll Seck, ancienne
syndicaliste de la santé et professeur de Médecine, a annoncé un
financement sur cinq ans de 30 millions de dollars Us ( quelque
22 milliards et demi de frs CFA) de la Banque Mondiale consacré
à la lutte contre le SIDA ainsi qu’une relance du programme élargi
de vaccination (Voir notre édition du jeudi 17 janvier). Elle a
également exposé les différents axes de la politique de santé qu’elle
compte mener en faveur du développement de ce secteur. Les médicaments,
la motivation des personnels de santé, l’hygiène, les relations
entre l’environnement et la santé, la formation, le traitement des
déchets biomédicaux hospitaliers, la réforme hospitalière, la couverture
sanitaire, la mortalité infanto-juvénile, la santé maternelle, la
décentralisation, ont été, entre autres, les sujets abordés au cours
de cet entretien à bâtons rompus en présence de son Conseiller technique
N°1, le Pr Seydou Badiane, et du directeur de la Santé, le Dr Mandiaye
Loume, chargé de la commission médicale qui doit accompagner les
pèlerins aux lieux saints de l’Islam.
Mme
le ministre, la Santé est un secteur réputé difficile à cause de
la forte demande sociale et des défis permanents que constituent
les maladies. Pouvez-vous nous présenter ce département à la tête
duquel vous êtes depuis 8 mois ?
Le
département de la Santé dont le budget atteint, cette année, les
9 % requis par les normes de l’organisation mondiale de la santé
(OMS) dans le budget national s’occupe d’un secteur difficile. On
y est toujours sous pression, car on doit tout faire pour que les
populations accèdent à des soins de qualité et œuvrer pour qu’elles
ne tombent pas malades. C’est pour cela que le Chef de l’Etat a
décidé, dans sa politique, de mettre un accent particulier sur la
prévention. D’ailleurs, nous avons maintenant une direction de la
Prévention qui, avec le service d’Education pour la Santé et la
collaboration des organisations de la société civile et des médiats,
dans un cadre que nous allons bientôt achever de définir, va développer
ce volet important de la santé. C’est ainsi que le Président de
la République et Mme le Premier Ministre ont même décidé de l’appeler
ministère de la Santé et de la Prévention. C’est là une certaine
originalité par rapport aux différents ministères qui se sont succédé.
Dans la santé, vous le savez bien, il y a le curatif et le préventif.
Le Chef de l’Etat a eu à nous dire que le secteur de la santé doit
cesser de courir derrière la maladie. Nous devons faire le nécessaire
pour que les gens ne tombent pas malades et, s’ils le sont, mettre
à leur disposition des soins accessibles et de qualité.
Nous
savons que le développement de ce secteur est un vrai challenge
pour nous, mais nous avons relevé le défi en faisant avancer les
choses. Il faut dire que le ministère de la Santé et de la Prévention
a une particularité. Celle-ci repose sur le fait qu’il a, d’une
part, un niveau central ou national avec ses directions et services
nationaux et, d’autre part, deux autres niveaux, notamment régional
et départemental où l’on retrouve respectivement la région médicale
et les districts. À un niveau plus bas, nous avons les communautés
rurales où l’on a des postes de santé, des cases de santé et des
maternités rurales. On constate donc qu’il y a des ramifications
qui vont du niveau central jusqu’aux zones les plus périphériques
du pays. À tous ces niveaux, des personnels qualifiés animent les
services, suscitent les implications nécessaires, prévoient les
situations qui peuvent se présenter, gèrent les informations et
la logistique.
Nous
avons beaucoup de difficultés à gérer durablement la demande sociale
par le biais de seulement 4.500 agents disséminés sur tout le territoire,
alors qu’il nous en faudrait 3.000 de plus pour combler les déficits
en ressources humaines. Cette situation peut aider à comprendre
en grande partie les choses qui, parfois, se passent dans le secteur
de la santé. On a souvent des problèmes tant au plan de l’accueil
que de la qualité des soins parce qu’il n’y a pas encore le nombre
de personnes qu’il faut à la place qu’il faut. C’est en partie cela
qui est à l’origine de nombreuses insuffisances. Le ministère de
la Santé et de la Prévention est un département qui s’occupe d’infrastructures
dont les grands hôpitaux au plan national, les hôpitaux régionaux,
les centres de santé qui ont quasiment la capacité d’un “ petit
” hôpital, les cases de santé, les postes de santé et les maternités
rurales.
Nous avons le rôle de définir les politiques de santé et de les
mettre en œuvre à travers des programmes et des projets (paludisme,
tuberculose, SIDA, santé de la reproduction, vaccination, survie
de l’enfant et de la mère, lèpre, cécité, médicaments, formation
des personnels, construction et réhabilitation de structures, équipements,
etc.). Prenons, par exemple, le programme de santé de la reproduction
; sa mise en œuvre se justifie par le taux élevé de mortalité maternelle
(510 décès pour 100.000 naissances vivantes). C’est énorme puisque
dans les pays développés, les taux variant entre 1 et 10 décès pour
100.000 naissances vivantes. Dans certaines régions du Sénégal,
on a même un taux de 1.200 décès pour 100.000 naissances vivantes
soit plus du double de la moyenne nationale.
Le
programme de santé de la reproduction va essayer de réduire la mortalité
maternelle par la promotion de la maternité sans risque à travers
l’espacement des naissances, les consultations prénatales, la vaccination,
l’élévation du taux d’accouchement assisté par les soins obstétricaux
d’urgence (SOU) dans tous les centres ruraux jusqu’aux niveaux périphériques,
l’information, l’éducation et la communication (IEC), etc. C’est
vrai, nous avons beaucoup de progrès à faire. Nous pouvons également
citer la formation des futurs agents afin de répondre aux besoins
en agents et aussi la réforme hospitalière qui a beaucoup avancé
ces derniers mois. Cette réforme devrait permettre de développer
notre système hospitalier afin qu’il devienne plus performant, mais
aussi accessible.
D’autres programmes de santé sont mis en œuvre comme celui qui lutte
contre le paludisme et qui comprend divers axes touchant à la lutte
anti-vectorielle par l’épandage d’insecticide, la promotion de moustiquaires
imprégnées d’insecticide, l’information des populations. Nous avons
en outre le programme contre le SIDA. Sur ce registre, il y a eu
une avancée avec la mise en place d’un conseil national exécutif
présidé par Mme le Premier Ministre avec une vice-présidence confiée
au ministère de la Santé et la Prévention. Ce conseil devrait impulser
toutes les implications nécessaires des acteurs dont en premier
ligne les ministères du gouvernement, le secteur privé, les ONG,
les associations, etc., car nous avons la lourde mission de tout
faire pour conserver les précieux acquis dans la lutte contre l’épidémie
à VIH/SIDA.
Nous
voulons un élargissement de la gamme des acteurs et nous mettons
amplement l’accent, c’est-à-dire plus que par le passé, sur le caractère
multisectoriel et pluridisciplinaire de la lutte contre le fléau.
Vous savez qu’après un peu plus d’une dizaine d’années de lutte,
le Sénégal est parvenu à contrôler l’épidémie avec une séroprévalence
de l’infection à VIH de 1,4 % dans la population générale. Le gouvernement
a obtenu auprès de la Banque Mondiale un budget de 30 millions de
dollars US sur cinq ans.
Le département développe d’autres programmes notamment en faveur
de la santé bucco-dentaire et mentale, ainsi que contre les maladies
non-transmissibles , autrefois un peu négligées et qui ont commencé
à devenir de sérieux problèmes de santé publique. C’est le cas du
diabète, de l’hypertension artérielle, des cancers, du tabagisme,
etc.
Maintenant,
en ce qui concerne la prévention, nous avons fait l’option de développer
des activités d’information et d’éducation en direction des communautés
de base chez lesquelles nous sommes en train de promouvoir la création
de mutuelles de santé pour accroître les possibilités des populations
d’accéder plus facilement aux soins de santé et aux médicaments.
Nous agirons au niveau de ces communautés pour mettre en place des
acteurs en leur sein propre à promouvoir la santé préventive. La
direction de la Prévention, le service national de l’Education pour
la Santé et le service national de l’Hygiène sont chargés de superviser
des stratégies spécifiques qui visent le changement de comportement
par l’information préventive des gens et les groupes vulnérables,
des actions sur le milieu environnemental, la sécurité dans l’alimentation,
etc. C’est un ensemble au sein desquels vont agir les comités de
santé et de gestion, les associations, des ONG et des relais communautaires.
Les
médecins internes réclament la révision de leur statut. Qu’en est-il
de cette revendication ? Est ce qu’on peut dire, à partir des difficultés
qu’ils rencontrent dans leur travail et les conditions dans lesquelles
ils l’exercent, qu’il y a une corrélation avec l’affaire du Dr Thiongane
?
Je
suis un ancien interne des hôpitaux de Dakar. Il en est de même
du Pr Seydou Badiane, mon conseiller technique N°1 qui s’occupe
du dossier des internes. Les internes ont une plate-forme dans laquelle
ils revendiquent la révision de leur statut. Nous savons que parmi
les médecins internes, certains sont âgés, d’autres se sont mariés
et ont même de la famille. Avant, certains avaient accès au logement
car ils en ont droit. L’espace prévu pour les internes était devenu
trop petit au fil des années. Ce qui fait que certains n’ont pas
de logement. Nous étudions actuellement leur statut comme celui
des travailleurs de la santé. Le statut des travailleurs de la santé
comparé à celui des autres travailleurs de la fonction publique
montre réellement qu’ils sont les parents pauvres de la fonction
publique. Nous n’avons pas encore terminé l’étude des documents
sur ces statuts des travailleurs de la santé et des internes en
médecine.
Maintenant, en ce qui concerne l’affaire du Dr Thiongane, c’est
un problème délicat. C’est une affaire qui est en cours devant la
justice. Je ne veux pas que l’on dise que j’ai eu à influencer le
cours de la justice. Toutefois, il y a deux choses qu’il faut voir.
La première est que tout médecin doit se mettre à la disposition
du malade. Dans les textes du code de déontologie de la médecine,
il y a la notion de non-assistance à personne à danger. C’est une
faute. Si ces textes sont très bien faits, la réalité est, en revanche,
tout autre sur le terrain. La rigueur des textes ne doit pas faire
oublier que les médecins et les infirmiers ne sont que des êtres
humains.
Nous tous, ici, aujourd’hui, si nous travaillons 24 heures sur 24,
il y aura un moment où quelques-uns d’entre nous vont disjoncter
et craquer. De nombreux agents ont ce genre de problème. Ils sont
confrontés au stress, à la fatigue et à l’énervement qu’ils essaient
de contrôler tant bien que mal. Si vous opérez et si vous faites
des consultations tout le jour et toute la nuit parfois, pendant
plus de trente heures, si vous faites des opérations chirurgicales
pendant plusieurs heures et, au moment de vous endormir, on vient
vous solliciter pour une urgence médicale ou chirurgicale, vous
devez vous mettre à la disposition du malade. Cela est normal, car
les malades ont besoin de vous. S’il y avait plusieurs chirurgiens
ou de médecins ainsi que suffisamment d’infirmiers et de sages-femmes,
les gens pourraient se consacrer plus sereinement à leurs tâches
qui consistent à soulager les malades, à les soigner et à les réconforter
même.
Ce
qui me gêne dans cette affaire, c’est que, dans le public et surtout
dans les médiats, on en parle comme si les personnels de santé étaient
des pourris et des inconscients qui ne travaillent pas. Il est vrai
que dans tous les corps de métiers, il peut y avoir des brebis galeuses,
mais ce qu’il faut vraiment savoir c’est qu’il n’y a pas assez de
personnels dans le secteur de la santé. Toutefois, tout travailleur
est dans l’obligation de porter secours à un malade.
Il
arrive de voir des communautés construire et équiper une structure
de santé qui reste fermée faute de personnels. Comment pouvez-vous
expliquer cette situation ?
Il faut qu’il y ait une coordination entre les populations et les
autorités sanitaires. Nous sommes souvent gênés de voir l’engagement
des communautés de base dans l’effort national de développement
de la santé et de ne pas pouvoir, en retour, satisfaire ces communautés.
Les émigrés sont particulièrement actifs dans le développement de
la santé des communautés auxquelles ils appartiennent. Toutefois,
des communautés commencent des constructions sans informer au préalable
le ministère de la Santé. À la fin des travaux, elles demandent
du personnel pour leurs structures alors que le système de santé
national est confronté à des besoins en personnels de santé. Depuis
quelques années, l’Etat essaie de recruter chaque année des agents
(médecins, pharmaciens, techniciens supérieurs de santé, sages-femmes,
infirmiers, laborantins, agents d’hygiène, etc.).
Nous
en recrutons chaque année 250 agents de plus alors que les besoins
requièrent 600 agents environ par an pour combler le déficit en
personnel. Nous avons actuellement un peu plus de trente postes
de santé fermés faute de personnel. Ces postes sont équipés et disposent
de logements. C’est pourquoi nous avons engagé un plaidoyer auprès
du gouvernement pour que l’Etat recrute plus de 250 agents par an
comme il le prévoit pour le secteur de la Santé. Ainsi, nous allons
recruter des agents sur la base de contrat. Cela nous permettra
d’ouvrir ces postes de santé fermés parce que, franchement, les
populations souffrent. Enfin, nous ferons de telle sorte qu’il puisse
y avoir une coordination entre les médecins-chef de district et
les communautés qui veulent construire des postes de santé. Déjà,
le ministère de la Santé a en projet la réalisation d’une soixantaine
de postes de santé dans le cadre du PDIS.
Il
y a beaucoup de fonds consacrés à la lutte contre le SIDA qui ne
vont pas aux malades, ne servent pas acheter des médicaments et
à assurer les soins. Nous savons aussi que le paludisme tue beaucoup
de personnes par an dans nos contrées. Ne faudrait-il pas consacrer
toutes ces ressources contre le paludisme ? Et quelle est votre
classification des priorités si vous devriez choisir deux ou trois
programmes de santé ?
Il
est important de clarifier quels sont les besoins que les gens ont
en matière de santé. Je sais qu’il y a beaucoup de critiques, car
beaucoup de gens disent que tout va au SIDA et rien vers les autres
programmes de santé. Il faut dire que la première chose en matière
de SIDA, c’est d’éviter de nouvelles infections. Si on ne règle
pas ce problème, nous savons qu’il y aura un jour beaucoup de malades
que nous ne pourrons pas soigner.
La prévention reste donc au premier plan et elle a un coût, notamment
l’organisation des stratégies de sensibilisation des populations
et des groupes vulnérables, la formation, car le SIDA était une
nouvelle maladie que beaucoup de personnes et même les agents de
santé ne connaissaient pas. Une autre partie des ressources allait
à la surveillance épidémiologique, aux tests, au contrôle du sang.
Je connais très bien le programme et je faisais partie de ceux qui
n’étaient pas contents. J’étais en première ligne dans la prise
en charge des malades (ndlr : comme chef de la clinique des maladies
infectieuses Iba Mar Diop du CHU de Fann). Rien des ressources destinées
au SIDA n’allait aux malades. Une fois, j’ai tellement plaidé que
la coopération française a décidé de nous donner quelque chose pour
soigner les malades. Tout cela parce que le traitement d’un malade
du SIDA est coûteux. Les bailleurs de fonds ne veulent pas investir
dans les soins aux malades. Ils préfèrent investir dans la prévention,
la promotion du préservatif, le dépistage, la recherche, etc. Il
a fallu nous battre pour qu’ils consentent à nous appuyer pour traiter
nos malades.
L’Etat
a, pour sa part, dégagé 500 millions de francs CFA par an pour l’achat
de médicaments. Les firmes nous ont concédé de fortes baisses sur
les prix des médicaments antirétroviraux. Dans le nouveau programme
avec la Banque mondiale d’un montant de 30 millions de dollars US
sur cinq ans, il y aura une partie qui sera consacrée aux malades
du SIDA. Le danger est que si on ne traite pas les malades du SIDA,
les personnes infectées puis affectées ne viendront pas pour se
faire hospitaliser et se faire suivre dans les hôpitaux. Elles vont
se disperser et nous ne les verrons pas. Certains ne voudront même
plus connaître leur statut et continueront à propager l’infection
dans la population. C’est ainsi que nous sommes en train de tout
faire pour accroître les efforts nationaux et internationaux en
faveur de la prévention et aussi de la prise en charge thérapeutique
des malades. Traiter les malades, c’est également une manière de
faire de la prévention.
Maintenant il ne faut pas dire qu’il faut prendre l’argent du SIDA
et le mettre dans le programme contre le paludisme. Il faut des
fonds pour le SIDA et pour le paludisme. Il y a actuellement la
mise en œuvre d’un fonds international en faveur de la lutte contre
le paludisme, la tuberculose et le SIDA. Je suis d’accord avec vous
quand vous dites que le paludisme tue plus que le SIDA au Sénégal,
mais il ne faut pas laisser le SIDA et ne s’occuper que du paludisme.
Ce serait une erreur grave, car l’un peut se développer de façon
dramatique. Le paludisme tue un million de personnes par an depuis
des siècles. Le SIDA, en revanche, a tué, au début, que peu de personnes.
Progressivement, le nombre de morts a continué de grimper de façon
exponentielle pour atteindre aujourd’hui 2 millions. C’est donc
une maladie que l’on doit absolument contrôler sinon cela risque
d’être très grave. Des pays sont déjà confrontés à ce sérieux problème
de la mortalité due au VIH/SIDA.
En
ce qui concerne les priorités, je dirais que ce sont la lutte contre
la mortalité maternelle, la vaccination des enfants. Je vais continuer
à me battre pour avoir de l’argent pour lutter contre toutes les
maladies. De nombreuses maladies causent des problèmes à toute la
population, d’autres agressent particulièrement des communautés
spécifiques. Mais il y a des risques pour tous. Donc, il faut s’occuper
de toutes les maladies.
Parlons
de la vente de médicaments sur la voie publique avec principalement
le phénomène de ‘’Keur Serigne Bi’’ devenu un véritable ‘’no man’s
land’’ de ce trafic de produits pharmaceutiques. Il y a d’autres
endroits dans le pays où l’on vend de la même façon ces produits
que pourtant seuls des personnes qualifiées doivent commercialiser
et donner des indications nécessaires aux consommateurs. Que comptez
vous faire pour neutraliser ce phénomène ?
Je comprends très bien ce problème. Il existe depuis près de 40
ans. J’avais visité ce lieu à l’époque et l’on m’a même dit que
c’est mieux organiser maintenant. Je pense qu’il faut essayer de
régler le problème à la base. Pourquoi y a-t-il ces genres de structures
de trafic parallèles ? Il y a, à mon avis, deux raisons. L’une est
que les médicaments sont trop chers. La seconde cause est qu’il
y a un problème réel de gestion, source de coulage de produits pharmaceutiques
et porte d’entrée de quantités de médicaments frauduleux en provenance
parfois de la sous-région. D’autres éléments de renseignements font
soupçonner les structures de santé, les pharmacies et même des grossistes.
Toutefois,
nous avons décidé de mettre un terme à cela. Ainsi, devant ce fait,
nous avons nommé un nouveau directeur de la pharmacie et du médicament
et un autre à la tête de Pharmacie nationale d’Approvisionnement.
Nous comptons sur eux pour remettre de l’ordre dans ce sous-secteur.
Il faut nécessairement plus de contrôle au niveau de la PNA et de
ses démembrements régionaux, les PRA. L’autre stratégie que nous
avons déjà commencée à mettre en œuvre consiste à la promotion des
médicaments génériques au niveau des officines privées de pharmacie.
Ces médicaments peuvent coûter 3 à 5 fois moins chers.
Cela
devrait permettre d’accroître l’accessibilité des produits pharmaceutiques
et partant réduire, ce trafic voire l’annihiler complètement. Je
ne vois pas les gens continuer à s’approvisionner dans ces lieux
de la fraude et à leurs risques et périls alors que des médicaments
génériques essentiels seraient à la portée de leurs bourses dans
les pharmacies de leurs quartiers ou de leurs villages. Pour ces
médicaments génériques, nous avons dressé une liste de produits
essentiels que nous réétudierons périodiquement selon les nouveaux
besoins. Nous avons rencontré les représentants des organisations
des pharmaciens et nous pensons que les officines vont, de plus
en plus, ouvrir des comptoirs de médicaments génériques.
En
outre, un décret permet actuellement une substitution des médicaments
dits de spécialités, donc plus cher, prescrits sur l’ordonnance,
par des génériques qui sont moins coûteux. Nous avons même, pour
plus de sécurité, envoyé des spécialistes dans plusieurs pays comme
l’Inde, le Pakistan, la Thaïlande qui fabriquent les médicaments
génériques pour nous assurer nous-mêmes de la qualité de leurs produits.
Maintenant, il faut savoir que les services de la douane et les
autres forces de sécurités font beaucoup d’actions pour lutter contre
la fraude sur les médicaments. Il faut donc combiner les deux actions,
notamment l’élargissement de l’accès aux médicaments et la répression.
Si on réprime et ferme des lieux de vente illicites, on risque de
les voir rouvrir ailleurs et la fraude va continuer. La sensibilisation
des populations est donc importante et nous développons une stratégie
là-dessus.
Le
Cap-Vert vient de lancer une campagne de vaccination contre l’hépatite
B. Ne pensez-vous qu’il est opportun, pour le Sénégal, un pays très
touché par cette endémie, de promouvoir l’intégration de cette vaccination
dans le PEV ?
C’est
vrai qu’il y a l’hépatite B qui peut aboutir à une cirrhose et aussi
à un cancer (primitif) du foie. Nous voyons des jeunes qui meurent
du cancer du foie. C’est donc un grand problème au Sénégal. Le problème
est que le vaccin contre l’hépatite B est coûteux. Il faut toutefois
préciser que le Sénégal n’a pas attendu longtemps pour développer
une vaccination contre l’hépatite B. Il y a le programme élargi
de vaccination (PEV) et aussi un programme de vaccination contre
l’hépatite B qui n’est pas très développé. Nous sommes en train
d’étudier son intégration dans le PEV. En relation avec l’Organisation
Mondiale de la santé et la fondation “ Bill et Mélinda Gates ”,
nous essayons de voir comment conventionner cette vaccination. En
attendant, dans des centres de santé et des postes de santé, cette
vaccination est disponible pour la population. Il y a également
les personnels de santé qu’il faut protéger contre l’hépatite B.
Ce sont des agents qui peuvent être contaminés dans leur pratique
de soins ou d’analyses d’échantillons. Il faut donc les vacciner.
La
catastrophe qui a eu lieu dans le nord du pays notamment dans les
régions de Saint-Louis et de Louga où la vague de froid et les pluies
ont tué une grande quantité de têtes de bétail, détruit des récoltes
et causé la mort de plusieurs personnes. Est-ce que vous intégrez
dans votre démarche la dimension des bouleversements climatiques
qui ont une incidence écologique certaine et des conséquences inattendues
sur la santé publique ?
Je
sais que c’est un problème dramatique. Les bouleversements écologiques
sont tels que l’on craint l’émergence de nouvelles maladies et même
la ré-émergence d’autres devant lesquels des efforts avaient eu
des acquis réels. Ce sont des choses qu’il faut intégrer. Des études
nous ont permis, par exemple, de prévoir certaines survenues périodiques
d’épidémies. Nous savons que tous les trois à quatre ans, il y a
des épidémies de méningite en Afrique. Chaque année, on se prépare
en Europe pour prévenir l’épidémie annuelle de grippe pendant la
saison de l’hiver. Ce qui s’est passé cette fois-ci est vraiment
surprenant. Et il est clair qu’il faut réagir en conséquence pour
que des épidémies ne surgissent pas, dans la mesure où les populations
sinistrées sont fragilisées par le froid et le déficit nutritionnel,
la rareté soudaine de l’eau qui peut hypothéquer l’hygiène individuelle
et collective.
L’autre
problème sérieux est les troupeaux décimés et les cadavres d’animaux
pourrissant dans la nature. C’est vraiment une catastrophe nationale
et il faut la considérer comme telle. Si les pluies s’étaient prolongées
pendant plusieurs jours, cela aurait été extrêmement grave pour
notre pays, surtout dans le monde rural où les problèmes de santé
y sont énormes. Nous avons très vite envoyé une équipe de techniciens
dans les zones sinistrées. Nous avons fait une évaluation de la
situation et préparé des réponses pour parer à d’éventuelles complications
épidémiques.
La
campagne contre les mutilations génitales féminines bat de l’aile.
On assiste à une baisse des acquis. Il y a eu des déclarations officielles
d’abandon de la pratique par des exciseuses, mais on assiste à une
poursuite de cette pratique dans certaines zones. Qu’en est-il exactement
?
Vous
avez peut-être raison, mais je ne peux pas dire qu’il y a eu une
chute d’intérêt dans cette campagne. Ce que je peux vous dire, c’est
qu’il y a des problèmes. On avait peut-être pas entièrement évalué
l’aspect culturel et social de l’excision. Il y a eu beaucoup d’actions
de type communautaire, d’implication de chefs religieux, d’ONG et
d’associations de femmes, de ministères dont le ministère de la
Santé. Il est clair maintenant qu’il fallait une planification d’actions
pour gérer les effets après les décisions d’abandon de la pratique
par des communautés et des exciseuses, surtout après l’adoption
de la loi contre l’excision.
Dès que les acteurs de la campagne ont tourné le dos, certaines
exciseuses ont repris quelque temps après leur couteau et leur pratique.
On ne doit pas penser pouvoir régler en un ou deux jours son compte
à un problème qui a des aspects culturels comme c’est le cas avec
l’excision et les autres mutilations génitales féminines. Il faut
une planification durable et profonde à travers plusieurs volets
concernant la sensibilisation, l’appui aux communautés, etc. Il
faut dire aussi que les femmes exciseuses, en tout cas la plupart,
avaient cette pratique comme gagne pain. Quand elles se sont retrouvées
sans emploi, elles ont vite repris leur couteau. On a bien vu à
Tamba, que des actions ont été entreprises autour des ex-exciseuses,
notamment des GIE au sein des groupements féminins. Ma collègue
de la Famille et de la Petite Enfance est en train d’organiser des
stratégies pour vraiment régler ce problème. Ce problème montre,
en tout cas, qu’il ne faut jamais arrêter la sensibilisation des
gens. Il faut peut-être changer les formes de cette sensibilisation
pour maintenir l’imprégnation permanente des consciences.
En
ce qui concerne l’hygiène publique, nous, au niveau gouvernemental,
le problème a été déjà réglé, mais certains soulèvent encore la
question de l’hygiène publique qui est logée au ministère de la
Jeunesse et de l’Environnement. D’ailleurs, c’est ce qui avait fait
la petite confusion au départ avant que je ne fasse la passation
de service. Le service national de l’Hygiène, qui, encore aujourd’hui,,
effectue des services appréciables pour la santé publique est retourné
dans le giron du département de la Santé et de la Prévention. C’était
très clair dans le décret de nomination du gouvernement. Au niveau
du commissariat général du pèlerinage aux Lieux Saints de l’Islam,
les agents de l’hygiène y sont chargés de la vaccination. Le SNH
participe à la vaccination et s’occupe également de la surveillance
des denrées alimentaires, des lieux publics de restauration, du
dépôt des saletés sur la voie publique, du contrôle des domiciles,
de la lutte contre les vecteurs de maladie, de l’imprégnation des
moustiquaires. En revanche, le ministère chargé de l’Hygiène publique
est chargé de conduire la politique de propreté de la voie publique,
de la gestion des ordures, etc.
Le
domaine de la santé est parmi les 9 compétences que l’Etat a transférées
aux collectivités locales via la loi 96/07 du 22 mars 1996. Ce transfert
est accompagné des moyens que le gouvernement leur allouait. Il
s’agit d’un fond de dotation calculé sur la base de l’importance
du volume de la population et de la moyenne des trois derniers budgets
de la collectivité locale concernée. Or, depuis 1988, il n’a pas
été fait de recensement de la population et certaines collectivités
se retrouvent ainsi avec des budgets dérisoires. Eu égard à tout
cela, ne pensez-vous pas nécessaire de faire réviser ces critères
de définition du montant de la dotation allouée au secteur de la
santé des villes et villages du pays ?
Le
premier problème est que ce qui est transféré et les fonds qui sont
alloués aux collectivités locales pour la santé aillent vraiment
à la santé. Nous constatons parfois que seulement 1/10 va à la santé.
Le reste sert à autre chose, comme la construction de mur, l’achat
de voitures, etc. Il y a une partie du budget qui est alloué aux
collectivités locales, mais on ne la retrouve pas sur le terrain.
Il y a des collectivités qui perçoivent cet argent et l’investissent
réellement dans la santé. Les agents de santé qui travaillent dans
ces collectivités ont pu constater cela et féliciter les élus locaux.
En revanche, il y a des problèmes chez d’autres collectivités. Elles
disent même qu’ils n’ont jamais vu l’argent. Il y a aussi des élus
locaux qui font trop de zèle. Dans la mesure où ils disent que ce
sont eux qui doivent effectuer les commandes de médicaments, faire
telle ou telle dépense eux-mêmes. Pour eux, les médecins et les
infirmiers n’ont qu’à exprimer leurs besoins. Il faut donc remettre
de l’ordre à ce niveau. Nous avons fait l’option de la décentralisation
à laquelle j’adhère, mais nous devons faire attention et veiller
à ce que chacun respecte les règles.
Pour le pèlerinage, il y a deux phases. La première est relative
aux préparatifs. Il y a eu un accord entre le commissaire général
au pèlerinage à La Mecque et les promoteurs privés. Dans la phase
de préparation, il n’y a pas de différence entre ceux qui vont avec
la mission ou ceux qui font appel aux services des promoteurs privés.
Le commissariat général s’occupe totalement des préparatifs sanitaires
qui sont gratuits, notamment la vaccination et la visite médicale
pour l’aptitude à effectuer ce rite. Pour la seconde phase, il faut
préciser que l’équipe médicale de la mission n’encadre que ceux
qui effectuent le voyage sous le couvert du commissariat général.
Cette année, le commissariat prévoit d’encadrer 7.500 pèlerins.
5.000 pèlerins bénéficieront de l’encadrement officiel et 2.500
autres seront encadrés par les promoteurs privés. C’est une fois
en Arabie saoudite qu’on note des différences. Ceux qui sont encadrés
par la commission seront logés aux mêmes endroits que les membres
de l’équipe médicale. Si les pèlerins acheminés par les voyagistes
privés sont tout près de ces lieux officiels, ils seront également
pris en charge quand des problèmes de santé se poseront, car ce
sont, eux aussi, des Sénégalais. Toutefois, il est recommandé aux
voyagistes privés d’être accompagnés de médecins et d’infirmiers
si leurs pèlerins doivent habiter loin des sites de la commission
officielle. Je me rappelle que l’actuel commissaire général venait
toujours en Arabie Saoudite avec un médecin quand il était un promoteur
privé du pèlerinage. Nous avons fait des rencontres techniques pour
organiser une collaboration sans faille entre la commission officielle
et les voyagistes privés.
De
nombreuses ONG effectuent des interventions dans le secteur de la
santé. Leurs interventions sont décriées parfois même par des autorités
sanitaires à divers niveaux comme étant anarchiques. N’y a-t-il
pas lieu de remettre de l’ordre dans ce domaine ?
En ce qui concerne les interventions des ONGs, nous avons mis en
place une division qui s’occupe du partenariat. Cette division a
commencé à faire un travail d’organisation avec le CONGAD, à partir
de ce que l’on appelle le RESSIP qui est un réseau des ONGs qui
interviennent dans le secteur de la Santé. Si cette réorganisation
se poursuit, nous pourrons aller plus loin dans des protocoles d’accord
et d’agrément en leur faveur afin que ces ONG développent des activités
bien ciblées et planifiées dans le secteur de la santé, notamment
au niveau communautaire.
Nous
devons exiger que les ONG qui travaillent dans des zones précises
le fassent plus sérieusement en rapport avec les autorités sanitaires
de ces mêmes zones. Les Ong doivent intégrer leurs activités dans
la planification des autorités sanitaires des régions et des districts,
auprès des communautés de base. Il y a une véritable dynamique d’organisation
dans ce domaine et je pense qu’il y aura plus d’ordre. PROPOS RECUEILLIS
PAR FARA DIAW
Lire l'article original : www.lesoleil.sn/archives/article.CFM?articles__id=10896&index__edition=9495
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