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Des spécialistes africains se penchent sur les soins après avortement - Le soleil - Sénégal - 18/02/02

Des médecins, sages-femmes et représentants de ministères de la Santé de 15 pays francophones d’Afrique participeront à Dakar du 04 au 07 mars 2002 à une conférence internationale sur les soins après avortement (SAA). Au cours de la conférence, les quinze délégations élaboreront des plans d’action pour initier ou étendre les services de soins après avortement dans leur pays. Des pays comme le Sénégal et le Burkina Faso qui ont déjà une expérience de SAA pourraient partager leurs expériences, enseignements et obstacles rencontrés avec ceux qui démarrent leurs efforts de SAA.

L’histoire est authentique. Il se passe dans un village traditionnel de l’agglomération dakaroise. Un jeune cadre vit dans une concession avec un couple. L’homme travaille dans une carrière de basalte. Ses revenus sont maigres et aléatoires. Son épouse analphabète est une femme au foyer. Elle s’occupe de leur petite chambre dans une habitation en bois. Le couple n’a pas d’enfant. Un soir, le jeune cadre, de retour de son bureau, entend une femme pousser des gémissements. Elle est consolée par un homme désespéré qui, de temps à autre, invoque Dieu. Le jeune cadre questionne sa femme. Celle-ci lui révèle que sa voisine a fait un avortement spontané. Elle revient de l’hôpital. Son mari n’a pas d’argent pour acheter les médicaments prescrits par le médecin. La femme souffre le martyre. Son homme ne peut rien faire. Le lendemain matin, le jeune cadre récupère l’ordonnance, paye les médicaments. Ce simple geste de solidarité a peut-être sauvé une vie.

Des histoires comme celle-là, beaucoup, dans les quartiers peu favorisés des villes de l’Afrique subsaharienne, peuvent en raconter des dizaines souvent plus dramatiques. Que retenir de cette histoire ? La souffrance d’une femme, l’analphabétisme, la pauvreté d’un ménage, son faible accès aux soins de santé et un geste de solidarité. Un “ happy end ”. Tel n’est pas toujours le cas quand il s’agit d’avortement. En effet, l’avortement, qu’il soit spontané ou provoqué, aboutit souvent à des complications qui entraînent, en Afrique subsaharienne, 20 à 50 % des décès maternels. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), “ ce phénomène est d’autant plus tragique que ces décès pourraient être entièrement évités ”. De plus, notent les experts de la santé de la santé de la reproduction, on “estime que la prise en charge de ces complications constituent le principal motif d’admission aux services d’urgence des hôpitaux”.

L’Afrique subsaharienne est une région du monde où beaucoup de femmes meurent en donnant la vie. Le taux de mortalité maternelle y est estimé à 870 décès pour 100.000 naissances vivantes. Au Sénégal, il est 510 naissances vivantes pour 100.000 naissances vivantes contre 10 dans les pays développés. Dans notre pays, il existe peu d’informations sur le pourcentage de ces décès attribuables aux complications de l’avortement. Cependant en 1995, le ministère de la Santé estimait le nombre total de cas d’avortement à 7.935 dont 2578 au niveau des hôpitaux et 5.357 au niveau des districts sanitaires. Ces chiffres ne rendrait compte que partiellement de la réalité. En effet, hors des milieux hospitaliers, “ de nombreuses femmes recourent encore à des avortements exécutés par des personnes non qualifiées ou dans des conditions dangereuses ”.

Les données disponibles suggèrent que la plupart des avortements sont spontanés et touchent principalement les femmes mariées ayant un âge moyen de 28,3 ans. Une des causes indirectes des avortements indirects serait le paludisme. Les avortements provoqués concernent principalement des femmes non mariées âgées en moyenne de 21,4 ans.

PREVENTION DES GROSSESSES NON DÉSIRÉES

Au Sénégal, les taux élevés d’avortements à risque sont liés en partie au manque d’accès et d’utilisation de la contraception. La prévalence de la contraception reste, en effet, faible au Sénégal (7 %) particulièrement dans les zones rurales (7 %). Un peu plus du tiers des femmes mariées en âge de procréer désire, toutefois, retarder ou éviter une autre grossesse, mais elles n’utilisent pas la contraception. Une étude de base menée par le centre de formation et de recherche sur la santé de la reproduction (CEFEROP) dans six districts sanitaires a montré que seules 41 % des femmes présentant des complications liées à l’avortement connaissaient des méthodes pour éviter une grossesse et seules 17 % d’entre elles avaient effectivement utilisé une méthode contraceptive ”. Ces statistiques donnent la mesure de la gravité du problème dans notre pays. Il est même, aujourd’hui, admis que “ la prévention des grossesses non désirées, la prévention et la prise en charge des avortements à risque constituent des interventions clefs pour une maternité sans risque ”.

Les conférences internationales sur la population (Le Caire, 1994) et les femmes (Beijing, 1995) ont adopté des résolutions sur les avortements à risque. L’une de ces résolutions, précisément le paragraphe 8.25 du Programme d’action de la conférence internationale sur la population et le développement dit : “ tous les gouvernements et toutes les organisations intergouvernementales et non gouvernementales appropriés sont instamment priés d’accroître leur engagement en faveur de la santé des femmes, de s’attaquer aux conséquences sanitaires de l’avortement à risque, considéré comme un problème majeur de santé publique et de réduire le recours à l’avortement grâce à des services de planification familiale élargis et améliorés ”.

Le gouvernement sénégalais, qui était représenté à ces conférences internationales, reconnaît que les soins après avortement constituaient “ un sérieux problème santé ”. Il a ainsi adopté en 1997, une stratégie nationale dont l’objectif était de réduire à moitié le nombre d’avortement à risque à l’horizon 2001. La prise en charge des avortements à risque passe d’abord, de l’avis des experts en santé de la reproduction, par l’amélioration de la qualité et de l’accès des services d’urgence. Ensuite, il faut des conseils en planification familiale pour prévenir les grossesses non désirées. Enfin, des efforts doivent être déployés pour améliorer des liaisons entre les SAA et les autres services de santé de la reproduction comme le traitement et la prévention des infections sexuellement transmissibles.

STATUT DE LA FEMME

Un projet pilote d’introduction de soins après avortement (SAA) de qualité y compris l’utilisation de l’aspiration manuelle intra-utérine (AMIU) a été mis en œuvre en 1996 dans trois structures de la région de Dakar (CGO, Roi Baudouin et hôpital Principal). La phase- pilote a été suivie d’une extension. Celle-ci a concerné les hôpitaux régionaux de Saint-Louis, Diourbel, Ziguinchor et Kaolack ainsi que le district de Sokone. Le Sénégal dispose présentement d’un curriculum de formation et des documents de normes et protocoles en SAA.

L’introduction des soins après avortement de qualité dans le système de santé sénégalais se heurte toutefois à quelques contraintes identifiées par une étude de base du centre de formation et de recherche sur la santé de la reproduction (CEFEROP). Parmi ces contraintes, on note le manque d’infrastructures et d’équipements adéquats pour la prise en charge des soins après avortement (SAA)
selon les normes. Il y a aussi l’insuffisance du personnel formé en SAA et une utilisation du curetage digital comme principale technique de prise en charge entraînant la mobilisation de personnel et moyens important et une durée d’hospitalisation des patientes importante.

Le manque d’informations et de connaissances sur les SAA aussi bien parmi les patientes que parmi les prestataires ont été aussi souligné par l’étude. D’autres contraintes mises en évidents sont relatives aux systèmes d’information et de référence recours non fonctionnels et aux problèmes d’accessibilité géographique et financière des SAA pour les populations des zones éloignées. À cela, il faut ajouter, note l’étude, une forte réprobation culturelle et religieuse par rapport aux grossesses non désirées au sein de la population.

Le Sénégal et les 15 pays francophones qui enverront des délégués à la conférence de Dakar considèrent les avortements à risque comme un grave problème majeur à cause de leurs conséquences médicales, sanitaires et sociales. Résoudre la question de l’avortement à risque, c’est aussi, pour les gouvernements, les partenaires au développement et les organisations non gouvernementales, s’attaquer aux grands problèmes sociaux comme la pauvreté, la législation sur la santé de la reproduction, le statut de la femme, l’éducation, la santé de la reproduction des adolescents et des jeunes adultes, etc.

AVORTEMENT AU SENEGAL : NI LÉGAL NI MÉTHODE DE CONTRACEPTION

L’avortement n’est pas une question simple. Il soulève des passions chaque fois qu’on l’évoque. À la conférence internationale sur la population et le développement (CIPD, Le Caire, septembre 1994), les discussions avaient presque fini par éclipser les autres sujets de discussions. Cela avait d’ailleurs fini par agacer de délégués principalement ceux des pays du Sud. Un des termes du consensus international de la CIPD était “ qu’en aucun cas, l’avortement ne devrait être promu en tant que méthode de planification familiale ”. C’est le cas au Sénégal.

Dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, il existe une “ opposition culturelle et religieuse à la libération de la loi sur l’avortement ”. Au Sénégal, l’avortement est interdit sous peine d’emprisonnement de 6 mois à 2 ans. 5 à 10 sont prévus pour les récidivistes. Le sursis n’est pas associés à ces peines. Les complices sont aussi passibles de peines. L’avortement en cas de viol ou d’inceste n’est pas autorisé. Une universitaire, spécialiste du droit de la famille, souligne que “ l’interdiction de cette pratique est à l’origine de beaucoup d’infanticides ”. Un autre problème, ajoute-t-elle, est “ le conflit d’intérêt entre les droits de la mère et ceux de l’enfant ”.

La réforme du droit de l’avortement est un des chantiers ouvert par le réseau des parlementaires sénégalais sur la population et le développement initiateur de la proposition de loi sur la santé de la reproduction. Les chapitres qui concernent l’avortement sont encore l’objet d’une très grande attention. Chaque mot est pesé, discuté, examiné au plus près.
EL BACHIR SOW

Lire l'article original : www.lesoleil.sn/archives/article.CFM?articles__id=11585&index__edition=9518

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