Il y a deux semaines environ, le personnel du Centre
de santé mentale de Mélen présentait ses vœux de Nouvel an au ministre
de la Santé publique, Faustin Boukoubi. L'occasion pour le directeur
de cette unité sanitaire, le Dr Frédéric Mabiana Mbumgu, d'exprimer
à la tutelle la complexité de la tâche à accomplir dans la prise
en charge des malades mentaux, en raison de leur nombre sans cesse
croissant et de l'insuffisance des moyens mis à la disposition de
l'hôpital psychiatrique. Secteur de la santé peu connu des usagers,
qui la considèrent, à tort, comme l'affaire des seuls fous, la santé
mentale est un domaine vaste qui englobe également les cas psychiatriques
tels que l'affection neuroleptique (l'épilepsie), la psychose et
la névrose (dépressions). L'ignorance et l'absence d'un personnel
qualifié fait en sorte que ces pathologies sont traitées par des
non-spécialistes, avec les risques de ne pas atteindre les résultats
escomptés.
A l'image donc d'autres secteurs, la santé mentale est confrontée,
selon l'autorité de tutelle, aux mêmes problèmes qui minent le secteur
sanitaire dans notre pays. A savoir, les difficultés de prise en
charge, consécutives â l'insuffisance "quantitative et qualitative"
des ressources humaines. Un seul psychiatre, assisté de deux psychologues-cliniciens,
exerce au centre de santé mentale de Mélen. Un spécialiste expatrié,
acquis grâce à la sollicitude de l'Organisation mondiale de la santé
(OMS).
Déficit
Pour les autres techniciens, le ministère de la
Santé s'attèle à combler le déficit avec la formation d'infirmiers
d'Etat en santé mentale à l'Ecole nationale d'action sanitaire et
sociale (Enass). 3Mais leur nombre reste encore insuffisant, dans
la mesure où ils devraient être déployés sur l'ensemble du territoire,
indique le ministre de la Santé publique, Faustin Boukoubi. Qui
relève également des problèmes d ordre structurel.
En effet, avec une soixantaine de places disponibles, le centre
de santé mentale de Mélen accuse un grand déficit par rapport aux
besoins, estimés à Libreville entre 200 à 250 malades. Et ce sont
ces malades que l'on voit déambuler à travers les rues de la capitale.
L'hôpital psychiatrique ne pouvant les accueillir, par insuffisance
de lits.
Mais la grosse épine sous les pieds des techniciens de santé reste
l'insuffisance des budgets, leur non-exécution ou, le cas échéant,
leur exécution hors délais. "En ce moment, nous sommes en train
de déplorer le non-règlement des dépenses au titre de l'année 2003",
dit Faustin Boukoubi dont les services ne peuvent, par conséquent,
faire face à un autre problème, celui du médicament. Partialement
celui du malade mental, qui doit être fourni par l'hôpital et qui
coûte excessivement cher. Si les budgets ne sont pas exécutés, les
médicaments ne peuvent pas toujours être disponibles". De même que
les médicaments des autres pathologies (paludisme, grippe, diarrhée,
...) dont peuvent être atteints les malades mentaux internés. Lesquels
souffrent psychologiquement aussi de l'isolement, à cause de l'abandon
par les leurs. Le directeur du Centre de santé mentale de Mélen,
avec lui son ministre de la Santé, dénoncent en effet, le non-accompagnement
des patients par leurs parents, tout au long de leur hospitalisation.
Cette démission parentale pose un réel problème
de prise en charge des malades, dans la mesure où ils ont souvent
besoin de médicaments ou d'un foyer d'accueil en cas de rémission.
Cet état d'abandon est parfois source de retard dans leur guérison
ou de rechute lorsqu'on a réussi à "récupérer" le malade. Les parents,
dit le directeur du centre de santé mentale, ont leur part de responsabilité
dans le phénomène des malades errants, à cause de la méchanceté
et du mépris q'ils affichent envers les malades.
Face à toutes ces insuffisances, le ministère de la Santé a initié
quelques actions et tracé des perspectives en vue d'une meilleure
prise en charge du malade mental (Lire interview).
Source : Journal l'Union Plus du 21 & 22/02/2004
Lire l'article original : http://www.internetgabon.com/gabon/actu/actu_21-22022004c.htm
Interview : "Nous avons
un déficit des structures d'accueil" : Affirmation du ministre de
la Santé, Faustin Boukoubi, pour expliquer le phénomène des malades
mentaux errant dans les rues - InternetGabon
- Gabon - 22/02/2004
Comment expliquez-vous l'absence
de psychiatres gabonais et quels sont les moyens mis en œuvre par
le gouvernement pour susciter les vocations ?
Faustin Boukoubi :
Cette absence s'explique peut-être par la difficulté du métier.
Pour être un spécialiste de la psychiatrie, il faut le vouloir,
parce que ce sont des malades spéciaux qu'il faut prendre en charge.
Il faut donc beaucoup de volonté et de patience. En ce moment, nous
avons un déficit de vocations. Il n'y a pas beaucoup de gens qui
veulent s'y spécialiser. Or, les spécialisations sont d'abord volontaires.
Ensuite, il n'y a pas une spécialité en santé mentale à l'Université
des sciences de la santé (USS) du Gabon. La formation se passe à
l'étranger où il faut, d'ailleurs, pouvoir trouver des places. Pour
susciter les vocations, l'État invite les médecins à s'intéresser
à cette branche. Nous en parlons aux généralistes. Au niveau de
l'Enseignement supérieur, les responsables font la même chose en
les incitant à se spécialiser. Mais, pour des raisons diverses,
les gens choisissent plus certaines spécialités que d'autres. Et
en ce moment, aucun Gabonais, à ma connaissance, n'est en formation
dans cette spécialité. Sauf s'il n'est pas enregistré par nos services.
Il y a également un déficit
des structures d'accueil et des équipements au Centre de santé mentale
de Mélen ?
Faustin Boukoubi :
Effectivement. Nous avons lancé des travaux de construction de nouvelles
chambres des malades mentaux à l'hôpital psychiatrique de Mélen.
Ces travaux ont traîné pour des raisons de financements. Les entrepreneurs
ne sont pas rentrés, dans les délais requis, dans leurs fonds. Maintenant
qu'ils ont été payés partiellement, les travaux avancent. Normalement,
si les délais qui m'ont été indiqués lors de mon récent passage
sur les lieux sont respectés, les structures pourraient être livrées
dans quelques semaines.
L'achèvement de ces travaux devrait permettre de doubler la capacité
d accueil actuelle, passant de 60 à 121 chambres. Mais là aussi,
cela reste en deçà des besoins. Il y ra près de 200 à 250 malades
en attente sur la place de Libreville. Donc, même st cette structure
nouvelle est livrée, on aura encore un déficit de 100 lits.
Pour le combler, on espère que le gouvernement trouvera des moyens
pour financer de noues constructions. Car, si nous n'avons pas d'argent
pour offrir suffisamment de lits a Libreville, nous en avons encore
moins pour réaliser des centres à l'intérieur du pays. Pour le moment,
lorsqu'il y a des cas patents, ils sont pris en charge au niveau
local dans les hôpitaux provinciaux. Si ceux-et sont dépassés, certains
malades sont évacués vers Libreville. Parallèlement, nous avons
un plan d'action qui prévoit la réalisation progressive des structures
à intérieur du pays, de manière à .ce que chaque chef-lieu de province
dis pose au moins d'une structure de santé mentale. Pour les animer,
nous avons ouvert depuis quelques années à l'Enass une filière d'infirmiers
d'Etat spécialisés en santé mentale. Dans un premier temps, à défaut
d'avoir des psychiatres, nous allons mettre ces infirmiers d'Etat,
à la disposition de ces structures. Actuellement, ils sont tous
affectés au centre des malades mentaux de Mélen.
S'agissant des équipements, nous avons le devoir de fournir un équipement
assez complet au Centre de santé mentale de Mélen, parce qu'en dehors
de la pathologie mentale il a d'autres maladies. Il faut donc suivre
les malades sur place. Nous avons un programme qui intègre la réalisation
d'un laboratoire et d'une imagerie médicale à l'intérieur de la
structure même. Mais dans l'immédiat, compte tenu des difficultés
qui sont les nôtres, nous amenons tous les malades à l'hôpital régional
de l'Estuaire, mitoyen du centre de santé mentale. C'est là que
l'essentiel des examens est réalisé.
À quoi sert la police de secours
aux malades mentaux ?
Faustin Boukoubi :
C'est une Ong qui travaille avec nous et sur laquelle nous nous
appuyons pour le ramassage des malades mentaux dans les rues. Nos
personnels estiment, et cela à juste titre, que leur devoir est
de soigner les patients au sein de la structure et non pas de faire
le tour de ville pour les ramasser, avec tous les risques que cela
comporte. Il y a quelques années, nous avons travaillé avec le Bataillon
des sapeurs-pompiers, qui devait nous suppléer dans cette tâche.
Mais, eux aussi ont leurs difficultés et la collaboration ne se
fait pas toujours de manière harmonieuse. Nous nous appuyons donc,
de temps à autre, sur cette Ong lorsque les moyens nous le permettent.
Que pouvez-vous dire, finalement,
pour rassurer les acteurs de la santé mentale dans notre pays ?
Faustin Boukoubi :
Je leur adresse des messages. D'abord le personnel. Je lui dirai
que nous avons choisi un métier. Quelles qu'en soient les difficultés,
nous devons les assumer, donner, autant que faire se peut, satisfaction
à leurs parents et à l'ensemble de la communauté nationale. Au niveau
du gouvernement, nous nous efforçons pour que les problèmes pendants
trouvent des solutions.
Au gouvernement, je dirai qu'il ne suffit pas de parler de la santé
mentale. Il faut que nous joignions l'acte à la parole en mettant
les moyens conséquents. La structure est dépassée. Nous avons le
devoir de réaliser une structure digne de ce nom, à l'image de ce
qui se voit dans d'autres pays.
Quant aux parents des patients, lorsqu'ils se rendent compte qu'un
des leurs souffre d'une maladie mentale, ils doivent s'adresser
au corps médical, au lieu d'aller dans les quartiers ou les villages.
Il y a, certes, des tradipraticiens qui savent prendre en charge
des malades mentaux, mais tous ne sont pas compétents. Que les parents
sachent qu'il y a des médecins spécialistes, des paramédicaux, que
n'importe quel médecin peut les conseiller, prendre en charge leurs
malades.
En plus, il ne faut pas abandonner les malades mentaux. Ce sont
des personnes qui peuvent. encore apporter beaucoup à la société.
Il faut les accompagner pendant leur hospitalisation, les encadrer,
les suivre, de telle sorte que s'il y a des besoins comme des ordonnances
ou les objets de toilette, qu'ils puissent les leur fournir. Le
peu que nous leur fournissons ne suffit plus. Nous les invitons
donc à manifester leur amour, leur affection, voire leur respect
vis-à-vis des parents qui ont un peu perdu la boussole, mais qui
restent néanmoins des humains. Nous devons savoir que nous sommes
tous des malades potentiels. Les gens n'ont pas demandé à être malade,
à l'exception de ceux qui le deviennent du fait des stupéfiants.
Beaucoup de jeunes se droguent et finissent dans cet hôpital ou
dans la rue.
Enfin à la presse. Lorsqu'elle parle de la santé, c'est comme si
elle parlait des gens sans cœur. Elle ne se rend pas compte que
nous nous situons à un niveau donné de la chaîne dont la santé n'est
qu'un maillon. Des efforts doivent être faits à tous les niveaux,
et nous comptons sur les communicateurs pour nous aider à sensibiliser
chacun de ces niveaux: le gouvernement, les parents, les jeunes
qui s'abandonnent aux stupéfiants ou à l'alcool, et les personnels
de santé eux-mêmes dont certains ne prennent pas leur tâche à cœur.
Source : Journal l'Union Plus du 21 & 22/02/2004
Lire l'article original : http://www.internetgabon.com/gabon/actu/actu_21-22022004d.htm
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