Les plantes possèdent un pouvoir immense dans la vie de l'homme.
Elles ont le pouvoir de maintenir la vie ; elles ont le pouvoir
de guérir. Mais, elles possèdent également le pouvoir de tuer. C'est
ce dernier pouvoir que nous allons évoquer dans la présente note,
en évoquant le tragique empoisonnement mortel dont ont été victimes
des enfants, le 10 avril dernier, à Niangoloko.
Trois enfants, des élèves, par l'ignorance de leur père, ont perdu
la vie. Mais, compte tenu du fait qu'ils sont des élèves, ne peut-on
pas aussi incriminer les enseignants ? Que coûte, en effet, dans
une région où prospère le "Farafin finzan" (appelé scientifiquement
Blighia sapida de la famille botanique des Sapindaceae), de parler
de cet arbre, de son intérêt en tant qu'arbre d'ombrage, d'ornement
et d'intérêt alimentaire (par l'arille de la graine comestible à
maturité mais, très toxique chez le fruit non mûr).
Les programmes d'enseignement pour ce qui est du volet "Leçon de
choses" ou "Sciences naturelles" sont-ils en adéquation avec le
vécu quotidien ? J'en doute fort. Dans ce vécu quotidien, l'homme
est entouré de plantes à risque, de plantes dangereuses. Il existe
des plantes locales dangereuses par certaines de leurs parties bien
que d'intérêt alimentaire ou médicinale. Leurs parties alimentaires
demandent bien souvent certaines manipulations et techniques culinaires
(cuisson prolongée avec renouvellement de l'eau de cuisson pour
certains tubercules) et de nombreux fruits à graines comestibles
ne le sont qu'à pleine maturité comme c'est le cas du Farafin finzan.
Dans le cadre de l'éducation traditionnelle, le savoir et savoir
faire les concernant se transmet par une expérience pratique en
zone rurale.
Il y a des plantes exotiques introduites surtout en zone urbaine.
Largement diffusées par les fleuristes et les centres de recherche
(CNRST, CNSF) pour leur intérêt ornementale, elles sont souvent
mal connues pour les dangers qu'elles peuvent présenter. On peut
indexer quelques unes remarquables. Ce sont (mais la liste n'est
pas exhaustive) :
- Jatropha curcas (Euphorbiaceae). Le pourghère ou pignon d'Inde,
plante de haie vive à fruits ressemblant au karité et contenant
des graines à goût agréable mais dangereuses par une substance
: la curcine dont les signes d'empoisonnement se traduisent par
des vomissements, des diarrhées profuses et une xérophtalmie marquée
(les yeux sortent de l'orbite). Les Moose l'appellent "wanb-n-bangma"
(goûte-moi et tu sauras).
- Ricinus communis ; le ricin de la famille des Euphorbiaceae,
plante dont la culture fut encouragée à l'époque coloniale. L'huile
de ricin figure en pharmacopée moderne pour ses propriétés purgatives.
Mais la plante contient une substance dangereuse, la ricine.
- Hura crepitans (Euphorbiaceae). Le bombardier dont les fruits
à maturité éclatent en projetant au loin ses graines. La plante
contient une toxalbumine toxique.
- Nerium oleander (Apocymaceae). Le nerion ou laurier rose. Il
existe deux variétés : une à fleurs blanches, l'autre à fleurs
roses. C'est une plante dont toutes les parties sont toxiques.
Il ne faut surtout pas la confondre avec le Laurus nobilis, le
laurier sauce dont les feuilles aromatiques constituent un excellent
condiment.
- Dieffenbachia picta et D. seguine de la famille des Araceae.
Cette plante tropicale, originaire des sous-bois de la forêt dense
amazonienne, est largement répandue dans le monde entier comme
plante d'appartement. On le reconnaît à son feuillage vert ponctué
de blanc. Les feuilles et la tige riches en oxalate de calcium
sont irritantes pour les muqueuses buccales et la langue.
Elles sont très nombreuses ces plantes introduites dangereusement.
Mais, il est malheureux de constater le déficit d'information les
concernant alors que dans les pays du Nord, existe une abondante
documentation.
Pour revenir au cas du Blighia Sapida appelée le "fisanier" par
mon ami forestier Moné de la direction provinciale de l'Environnement
et du Cadre de vie de la province de la Comoé, c'est une espèce
afro- américaine et asiatique.
Considérée comme d'origine africaine, elle fut diffusée dans le
nouveau monde (Amériques, Antilles) où la plante est bien connue.
En Amérique latine (Vénézuela), il est connu sous le nom de "Merev
del Diablo", Merey étant l'appellation en espagnole de l'anacarde,
Anacardium occidentale, le pommier de cajou. On l'appelle également
"bien me sabe".
Les Lobi qui connaissent parfaitement bien la plante l'appellent
Ti et le différencient, à la façon des Vénézuéliens, de l'Anacardium
occidentale appelé Dablo ti (le Ti des Blancs). Ouvrons une parenthèse
sur l'anacarde ou pomme de cajou. Le pédoncule du fruit de cette
plante est comestible. Mais, il est formellement déconseillé de
boire du lait après sa consommation. Sa graine, contenu dans un
fruit de forme réniforme à tégument dangereux (caustique et irritant)
est comestible rôti et apprécié dans les apéritifs.
Pour revenir encore au Blighia Sapida, l'arbre est bien connu
dans le Sud et Sud-Ouest du Burkina et les populations locales (Lobi,
Gouin, Turka, Siamu etc.) en maîtrisent bien les diverses utilisations.
Longtemps confiné au palais du gouverneur colonial, il est de diffusion
relativement récente à Ouagadougou.
Description de l'arbre
C'est un arbre de taille moyenne (8 à 10 m) à feuilles composées
paripennées (4-5 paires de folioles). Ses feuilles sempervirens
(ou se renouvelant vite lorsqu'elles tombent). L'arbre fleurit presque
toute l'année mais, avec une pointe de janvier à mai/juin. L'arbre
se reconnaît à ses fruits rouges de 5 à 10 cm. Ce sont des capsules
qui, à maturité, éclatent en libérant 3 graines noires insérées
sur la paroi du fruit par une arille de couleur blanc crème. Cette
arille immature est très toxique du fait de la présence d'une substance
: I'hypoglycine qui abaisse brutalement le taux de glucose dans
le sang (ce taux passe de 1 g /1 à 0,3 g /1). Mais, cette arille
mûre est oléagineuse et comestible bien qu'il faille la débarrasser
d'une languette rouge orangée considérée comme toxique. On en fait
une excellente sauce chez beaucoup d'ethnies du Sud-Ouest et du
Sud-Est du Burkina.
Le tégument du fruit : il est utilisé comme détergent (savon) pour
laver les habits. Quant aux feuilles, elles présentent des utilisations
en médecine et pharmacopée traditionnelles.
Les accidents causés par l'arille non mûre sont assez nombreux
pour qu'il faille s'inquiéter. Celui de Niangoloko en date du 10
avril n'est pas le premier et le seul et certainement pas le dernier.
Il est temps de rompre avec cette indifférence et mutisme entourant
les plantes dangereuses et toxiques dans notre pays. Il est vrai
que les connaissances les concernant sont souvent sous le sceau
du secret (ceci pour en limiter les utilisations à des fins criminelles).
Et les scientifiques (ethnobotanistes, toxicologues) se contentent
de mises en garde et conseils informels. Ces mises en garde concernent
également certaines plantes médicinales potentiellement toxiques
pour lesquelles se posent de délicats problèmes de posologie. Il
est peut-être temps d'aborder de front le problème de ces plantes
toxiques et notamment des fruitiers à risque. Il y a, là, un devoir
urgent de protection des enfants contre ces nombreux fruits tentants
mais à risque.
Ouétian BOGNOUNOU - Ethnobotaniste - INERA / DPF Chevalier de l
'Ordre National Chevalier des Palmes Académiques bognounou@yahoo.fr
Lire l'article original : http://www.sidwaya.bf/sitesidwaya/sidawaya_quotidiens/sid2003_29_04/sidwaya.htm
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