Le principal objectif d'un système sanitaire est
l'amélioration de la santé de la population. Les prestations de
services de santé en sont la principale fonction. Le système de
soins constitue dans notre pays, comme dans la majorité des pays
en développement, l'essentiel de ces prestations.
Le dysfonctionnement dans l'organisation
Malheureusement, en Côte d'Ivoire, notre système
de santé n'offre que rarement des soins efficaces et accessibles
aux populations qui en auraient besoin. Les obstacles à la mise
en place d'un système de santé efficace sont facilement identifiables
: insuffisance des infrastructures sanitaires et des équipements
médicaux, pénurie des médicaments, insuffisance des ressources humaines,
et un dysfonctionnement dans l'organisation du système de soins.
Les infrastructures de santé sont en nombre réduit et mal réparties
sur le territoire national avec une concentration dans les zones
urbaines. Vétustes et détériorées, certaines d'entre elles ne permettent
pas la pratique médicale dans des conditions d'hygiène acceptables.
Les équipements médicaux, acquis grâce à des investissements lourds,
sont souvent obsolètes en raison de son non-renouvellement, et au
manque de maintenance.
La pénurie des médicaments est le fait de l'actuelle politique du
médicament, de la modicité des ressources financières de notre pays
mais aussi des difficultés de recouvrement.
De bas salaires et des conditions
de travail difficiles
Le personnel médical est démotivé par les bas salaires
et les difficiles conditions de travail dans les établissements
publics. Le faible revenu explique l'absentéisme récurrent des médecins
dans les hôpitaux publics et leur omniprésence dans les structures
privées à la recherche d'un "complément" de rémunération pour leur
permettre de vivre décemment. Le déferlement des médecins fonctionnaires
dans le secteur privé a pour conséquence :
- l'inflation du coût des soins médicaux pour le malade ; le malade
qui consulte dans un établissement public réalise les 2/3 de ses
examens complémentaires dans les cabinets, laboratoires ou cliniques
privés. Ce qui expose le malade à un renoncement aux soins pour
raisons financières.
- La perte de ressources financières pour l'hôpital public qui
n'en a que très peu ; il n'a donc pas les moyens pour assurer
l'entretien des appareils et le renouvellement des produits pharmaceutiques
et autres consommables.
- Et une installation anarchique des établissements de soins dans
le secteur privé, en dehors de toute planification et au mépris
des normes de sécurité et de qualité de soins.
La Médecine se fait dans l'illégalité
Ainsi, plusieurs situations d'exercice illégal de la médecine sont
constatées :
- Exercice de la médecine par une personne non qualifiée,
- Praticien qualifié non autorisé à exercer la médecine (non inscrit
à l'Ordre National des Médecins),
- Praticien qualifié et autorisé, exerçant dans un établissement
non autorisé,
- Praticien qualifié et autorisé, effectuant, dans un établissement
autorisé, un acte ne relevant pas du niveau de cet établissement.
C'est le cas de la réalisation d'une intervention chirurgicale
dans un cabinet ou centre médical ; ces établissements ne sont
pas autorisés à faire des hospitalisations.
Par ailleurs, l'installation anarchique sans respect des normes
de sécurité est de nature à discréditer la profession et à favoriser
sa paupérisation.
Par devoir envers les malades, les médecins ivoiriens poursuivent
leurs activités dans les difficiles conditions qu'offrent les hôpitaux.
Et cela malgré la sanction qu'ils encourent en violant les dispositions
du code de déontologie médicale, en son article 4 : "En aucun cas
le médecin ne doit exercer sa profession dans des conditions qui
puissent compromettre la qualité des soins et des actes médicaux",
et en article 15 : "Le médecin doit exercer sa profession dans des
conditions lui permettant l'usage régulier d'une installation et
des moyens techniques nécessaires à son art". Le strict respect
de ces dispositions par les médecins entraînerait la fermeture régulière
des hôpitaux. Cette situation serait plus préjudiciable à la population
qui pourtant, se plaint de plus en plus de l'absence des médecins
dans les hôpitaux publics, de leur manque d'humanisme et de dévouement.
Les médecins ne sont que des hommes
Ces plaintes sont d'autant plus graves qu'elles portent sur les
principes fondateurs de la médecine d'HIPPOCRATE à laquelle appartient
la nôtre. Bien heureusement, elles concernent une minorité de marginaux.
Les médecins dans leur grande majorité sont respectueux des principes
de moralité, de probité et de dévouement envers les malades. Ils
ne sont que des hommes, mais des hommes de vocation appartenant
à une profession ayant une éthique millénaire. La profession médicale
n'a que faire des marginaux et ne peut les tolérer en son sein.
Mais comment séparer le bon grain de l'ivraie ?
Il appartient à la corporation d'identifier ces marginaux et de
les sanctionner. Il appartient exclusivement et entièrement à l'Ordre
National des Médecins de Côte d'Ivoire d'y remédier. En effet, la
loi n° 60-284 du 10 septembre 1960 qui crée l'ordre national des
médecins de Côte d'Ivoire lui assigne en son article 2, la mission
de " veille(r) au maintien des principes de moralité, de probité
et de dévouement indispensables à l'exercice de la médecine, et
à l'observation, par tous ses membres, des règles édictées par le
code de déontologie".
L'incapacité et l'inefficacité de l'ordre des
médecins
La situation actuelle de notre système de soins est en partie le
fait de l'incapacité et/ou l'inefficacité du Conseil National de
l'Ordre des Médecins de Côte d'Ivoire à faire respecter les règles
qui régissent l'exercice de la médecine dans notre pays.
La réforme du code de déontologie médicale et des textes régissant
le fonctionnement du Conseil National de l'Ordre des Médecins de
Côte d'Ivoire est d'une nécessité et d'une urgence évidente. Le
médecin reçoit de la société la mission de soigner : rétablir la
santé ou retarder la mort. Ce n'est pas une activité libre comme
le commerce, mais une charge confiée à des professionnels, officiellement
diplômés pour cela. La société ivoirienne a confié à la corporation
médicale, à travers la loi 60-284 du 10 septembre 1960, le soin
d'édicter des règles et des devoirs indispensables à la pratique
de la médecine, la charge de les adapter, de les faire respecter
et de sanctionner tout manquement par ses membres. Si depuis 1960,
les fondements de l'acte de soins n'ont pas varié, la démographie
médicale, les conditions et les moyens d'exercice de la médecine
ont considérablement été modifiés. La procréation médicalement assistée
en est l'illustration. Il est également nécessaire d'adapter les
règles en se référant aux lois de l'humanité. A titre d'exemple,
le nouveau code de déontologie devra statuer sur le fondement éthique
du sang dit "sécurisé" et du sang "ordinaire".
La réforme obligatoire du système de soins
L'urgence de la réforme du code de déontologie médicale est liée
à la mise en place du financement socialisé et collectif des soins
de santé de chaque résident que constitue l'assurance maladie universelle
(AMU). Il faudra obligatoirement réformer le système de soins afin
d'assurer l'accès de tous à des soins de qualité au meilleur coût.
Et cela dans le cadre d'un budget donné. La maîtrise des dépenses
de santé va nécessiter des dispositions médicales nouvelles telles
que : la diffusion des bonnes pratiques médicales, la signature
d'accords de bon usage des soins, la signature des conventions avec
les prestataires de soins et le contrôle des pratiques et des prescriptions.
Il est indispensable que le Conseil National de l'Ordre des médecins
veille à la conformité de ces dispositions avec l'éthique et la
déontologie médicale. En d'autres termes, il faut que la réforme
du système de soins se fasse dans l'intérêt du malade tout en respectant
ceux de la collectivité, et dans les limites des contraintes financières.
Faire coïncider ces différents intérêts divergents, nécessite une
bonne articulation entre les médecins et les personnes amenées à
recourir à leurs services, et un bon fonctionnement de l'ensemble
de la profession. Malheureusement, notre système de soins est si
décrié que rien de satisfaisant ne pourra être obtenu si l'on oubliait
les bases éthiques et déontologiques de l'exercice de la médecine.
La redynamisation de l'ordre, un préalable à
l'AMU
Les médecins ivoiriens conscients de la gravité de la situation
de la médecine en Côte d'Ivoire, ont introduit, depuis 1997, auprès
du ministère de la santé, par l'entremise des syndicats de médecins
des secteurs privé et public, un projet d'un nouveau code de déontologie
médicale ainsi qu'un projet portant organisation et fonctionnement
du conseil national de l'ordre des médecins. Les requêtes, déposées
entre les mains des différents ministres de la santé qui se sont
succédé à la tête de ce département, sont restées sans suite. En
2000, espérant une procédure d'urgence par ordonnance, une autre
requête a été introduite. En 2002, un atelier réunissant les différentes
organisations syndicales et le ministère de la santé représenté
par son service juridique, a procédé à une ultime validation des
nouveaux textes. Depuis lors, le corps médical attend, avec grande
impatience, que les nouveaux textes réglementant l'exercice de la
profession médicale soient adoptés par l'assemblée nationale, afin
de lui permettre de réorganiser et redynamiser le Conseil National
de l'Ordre des Médecins de Côte d'Ivoire. Pendant toute la durée
des travaux du comité de pilotage de l'AMU, les médecins ont rappelé
que la redynamisation du Conseil National de l'Ordre des Médecins
est un préalable au démarrage des activités de l'AMU, car le bon
fonctionnement du système soins contribuera à la pérennité du Fonds
National d'Assurance Maladie Universelle (FNAMU). Hélas ! Nos différents
appels sont restés vains.
Par N'go Innocent Kouadio
Lire l'article original : http://www.fratmat.co.ci/content/detail.php?cid=qE8l3z5M9R1
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