"C'est de la pure folie. C'est scandaleux !", n'arrêtent pas de
fulminer certains à propos de l'hôpital de Ninéfescha. Une infrastructure
nec plus ultra jetée en plein milieu des montagnes, gérée par un
médecin-colonel, qui accueillera les "haut des en haut", mais dont
les populations locales ne pourront pas bénéficier.
Molly Melching de l'ONG Tostan s'érige en avocate de l'hôpital
de Ninéfescha. Selon elle, "imaginez que des Bédiks, des Bassaris
et des Cognadjis se présentent à l'hôpital de Tambacounda ou bien
de Dakar pour des problèmes médicaux spécialisés, avec leurs habits
et leur façon de se présenter. Vous avez vu comment les gens sont
traités des fois au niveau des hôpitaux ?
Quand nous avons fait des recherches dans le milieu rural, les femmes
ont dit que, des fois, elles sentent qu'elles ne sont pas respectées
quand elles vont dans les milieux hospitaliers en ville. Alors,
qu'il y ait quelque chose pour eux à Ninéfescha, dans leur milieu,
fera de sorte qu'elles n'auront pas honte. Elles pourront aller
comme elles sont et ne seront pas obligées d'aller acheter des habits,
des chaussures et autres. Cela va les encourager à venir pour des
consultations prénatales.
Si le taux de mortalité maternelle est le plus élevé dans ce coin,
c'est parce que les gens ne vont pas se consulter. En d'autres lieux,
ils sont mal reçus, car devant marcher loin, sous la chaleur, avec
des habits différents de ceux des autres".
Tout ce discours pour nier le caractère aberrant, voir même scandaleux
de l'implantation de cet hôpital dans un coin perdu. Dire que d'aucuns
n'hésitent pas à avancer que c'est l'un des plus sophistiqués de
toute l'Afrique de l'Ouest.
En tout cas, cette infrastructure d'un coût de 750 millions de F
Cfa est un don du Conseil général des Hauts-de-Seine à la fondation
Education-Santé de Mme Viviane Wade.
Notre visite de cet hôpital a été guidée par l'infirmière Madeleine
Camara, originaire de Bandafassi.
Elle nous fait d'abord voir la section Médecine générale avec sa
salle de consultations, son cabinet dentaire, sa pharmacie, sa radiologie
scanner, son laboratoire. Au bloc opératoire, il y a la salle des
opérations, la salle de réveil, le magasin de stockage des médicaments,
la salle des opérés récents, les cases des hospitalisations pour
les opérés et le bloc hygiénique. A la maternité, ce sont trois
cases d'hospitalisation, des salles d'accouchement, de travail,
de garde pour les matrones (comme Mme Traoré qui n'a effectué qu'un
seul accouchement le 14 mars dernier - nous y sommes passés le 30
mars, Ndlr).
Au-dessus du bureau du directeur, le colonel Goumbala, on voit
une antenne VHF. Notre guide indique qu'il s'y est effectué une
fois une consultation par télé-médecine. On passe aussi près des
deux cases pour maladies infectieuses et des studios (logements)
pour le personnel composé de treize agents. Le tout, alimenté par
un groupe électrogène. A l'entrée, est garée l'une des ambulances
offertes au Sénégal par le Japon. Mais avant d'accéder à cette bâtisse,
le visiteur est alerté par une brigade de gendarmerie, une case
des tout-petits dont on dit qu'elle est la plus belle du Sénégal.
On parle même d'un… héliport.
A entendre Mme Wade faire tant de bruit autour de Ninéfescha, on
pense à une ville ou un village assez important. En fait, il s'agit
d'un petit hameau de… trois concessions (donc de trois familles)
réparties en dix-sept cases en argile surmontées de toits en paille.
Le seul petit bâtiment sert d'abri au moulin. Pas loin du puits
muni d'une pompe manuelle. La population totale du village est de…
87 habitants.
Selon notre guide, l'hôpital reçoit en moyenne une dizaine de malades
par jour, venus surtout des villages environnants dont le plus proche,
Namel se trouve à un kilomètre de là. La case des tout-petits aussi
accueille les enfants des villages de Namel, de Kenda, de Ethiès,
de Niapouare et de Boulel. La seule école est celle des langues
nationales (du groupe des Tenda). L'école française se trouve à
Ethiès. Ninéfescha est distant de 36 km de Kédougou, dans l'arrondissement
de Salémata où les populations continuent d'évacuer leurs malades
à l'aide de… hamacs à cause de l'état de la piste. Et pour certains
habitants de cet arrondissement, "cet hôpital n'est pas fait pour
nous. Il l'aurait été si nous étions consultés gratuitement ou à
prix réduit. Or tel n'est pas le cas. Les consultations coûtent
1 000 F pour les adultes et 500 F pour les enfants. Où voulez-vous
que nous allions trouver cet argent, nous qui n'avons même pas de
quoi manger ?".
D'ailleurs, d'après des femmes boudik que nous avons trouvées sur
place, dès que les travaux de construction de cet hôpital ont démarré,
les habitants du village se sont déplacés pour aller habiter plus
loin, sur la montagne. Ce que dément Madeleine Camara pour qui les
gens se sont déplacés certes, mais pour une autre cause : "Des gens
sont venus s'établir ici, dont des Peuls. Les troupeaux de ces derniers
envahissent les champs des Bédiks. C'est pourquoi ceux-ci se sont
déplacés pour éviter les conflits." Ce dont on peut douter, d'autant
que dans ces zones, les Peuls, les Bassaris, les Bédiks, les Cognadjis
et autres ont toujours cohabité en parfaite harmonie.
Par : Demba Silèye DIA
Lire l'article original : http://www.walf.sn/societe/suite.php?rub=4&id_art=1485
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