Le
soleil - 9 juin 2001
Fatal accouchement
Les
gamins font un raffut de diable dans les rues de Sindoné, un quartier
de l'île de Saint-Louis.
Aux abords de l'hôpital régional, l'animation est au beau fixe.
A la maternité, c’est l’attente et l’angoisse. Certains accompagnants
ont le visage grave.
“Cela fait trois heures d'horloge que ma nièce est là” nous confie
un jeune ouvrier agricole domicilié à Sor Daga :
“ Vous savez, les moments de la délivrance sont toujours pénibles.
Je prie Dieu pour qu'elle accouche dans de très bonnes conditions.
Sa grande sœur est morte après son troisième accouchement ”.
Une tristesse soudaine envahit l'homme assis à côté de nous.
On vient de lui annoncer une nouvelle qui est tombée comme un couperet
: “gueumeul Yalla” (il faut croire en Dieu), votre épouse vient
de rendre l'âme.
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Pourtant, tout s'était bien passé au début de l'accouchement ”.
La voix de son interlocuteur trahit l’émotion qui l’envahit.
L'homme est tétanisé, aveuglé par les larmes. Il arrive toutefois
à se maîtriser, mais laisse échapper, de temps à autre, des sanglots
; son jeune frère est également au bord des larmes.
Celui-ci l'étreint de toutes ses forces et lui dit : “ Pour l'enterrement,
je m'occupe de tout ”. Rongé par la douleur, il allume une cigarette.
La foi en Dieu en bandoulière, ce pêcheur quadragénaire est choqué.
Il n’entend pas les mots de consolation que lui adresse un garçon
de salle qui pose ses grosses mains sur ses épaules : “ Sois courageux,
c'est Dieu qui l'a voulu ainsi. Nul ne peut lutter contre son destin.
La mort arrive toujours au moment où l'on s'y attend le moins ”.
Comment
s’habituer à de tels drames dans une ville où des femmes meurent
encore en donnant la vie ?
D’une voix feutrée, une aide-soignante explique: “ Cela nous fait
mal de constater un décès qui pouvait être évité si les parents
avaient pris le soin d'évacuer à temps la femme portant une grossesse
à risque.
La femme souffre atrocement, fait naître un enfant et, parfois,
hélas, meurt en laissant des enfants innocents entre les mains d'un
mari qui, souvent, je le déplore, s'empresse de trouver une autre
épouse “.
Notre conversation est interrompue par les cris des parents de la
défunte qui étouffent le bruit qu’émet le chariot portant un corps
couvert d’un drap blanc.
Accroché au chariot, le pêcheur pleure à chaudes larmes. En donnant
la vie pour la troisième fois, son épouse, âgée d’un peu plus de
trente ans, a perdu la sienne.
“ Je serais la risée du quartier. Les gens diront que je porte la
poisse, que je suis maudit. Ma première épouse a rendu l'âme dans
les mêmes circonstances. On me traitera de tous les noms d'oiseau.
Le fait que mes épouses décèdent à la suite d'un accouchement est
indépendant de ma volonté. Mais je m’en remets à Dieu ” souligne-t'il,
le visage inondé de larmes.
Un
décès indépendant de sa volonté ?
Sans doute, mais a-t-il tout fait pour augmenter les chances de
survie de sa femme au terme de sa grossesse ?
Grave question que le drame qu’il vit interdit qu’on la lui pose.
Demain, peut-être, ce veuf devra savoir “accompagner” la grossesse
de sa femme ; il devra aussi, aider les services de santé compétents,
comprendre que la mortalité maternelle ne relève pas de la fatalité.
La lutte contre cette mortalité est aussi l’affaire de la communauté,
de la famille, du couple et, on l’oublie souvent, de l’homme.
Mbagnick DIAGNE
Lire
l'article original : www.lesoleil.sn/archives/article.CFM?articles__id=4420&index__edition=9306
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