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C'est peut-être une situation qui a quelque chose
de comique, mais, au fond, elle témoigne des graves manquements
des structures gouvernementales qui s'occupent du problème Vih/Sida
au Cameroun. Edgard Ekwa tient une feuille blanche en main. Il est
devant la pharmacie de l'hôpital Laquintinie de Douala. Une écriture
en gros caractère pour être suffisamment lisible par tous. "Je n'arrive
pas à prendre mes médicaments. Je ne comprends pas la posologie.
Est-ce que quelqu'un peut s'occuper de moi" ?
Edgard Ekwa est sourd-muet. Il ne parle pas et
ne comprend pas. Mais depuis deux ans, il a découvert sa séropositivité
après avoir développé le Sarcome de Kaposi pendant six mois. Malheureusement,
pour lui, personne ne peut lui expliquer quoi que ce soit. Son mode
de communication la gestuelle, est parfaitement inconnu des infirmières
et pharmaciennes de l'hôpital. Quant à lui expliquer la posologie
par écrit, il faudrait toute la journée et plusieurs stylos à bille.
"C'est un sérieux problème parce que nous ne pouvons pas toucher
toutes les personnes vivant avec le sida. Les sourds-muets, les
aveugles et bien d'autres classes sociales restent sans informations
parce que nos structures ne permettent pas d'avoir un personnel
qualifié pour suivre tous ces malades. Pourtant, c'est nécessaire
d'être avec eux pour assurer une bonne observance. L'observance
est la capacité d'une personne à prendre un traitement selon une
prescription donnée avec assiduité et une régularité optimale. Mais
pour en arriver là, il faut une adhésion du patient à travers l'adoption
d'une démarche active à faire bien le traitement et en devenir partie
prenante", expliquait Félicité Takouam, pharmacienne à l'hôpital
Laquintinie, lors de son exposé sur l'observance et la place du
pharmacien dans l'utilisation des Arv, pendant la session de formation
tenue du 23 au 27 février 2004 à Douala organisée par l'opérateur
de téléphonie mobile Mtn.
Cette session, contrairement à la première qui
était consacrée aux infirmiers en charge directe des Ppvs, était
exclusivement réservée aux médecins, pharmaciens et biologistes,
parce que, d'après le Dr Rudorf Mbanguè : "ce sont eux qui posent
le diagnostic, prescrivent le traitement et donnent les conseils
aux malades du Vih/Sida pour leur prise en charge globale. Ces personnes
infectées ont besoin contrairement aux autres pathologies d'une
assistance sur le plan médical, psychologique et nutritionnel. Mais
aussi d'être écoutées et observées".
Insuffisances
Parlant d'observance, pour la seule ville de Douala
qui compte plusieurs milliers de séropositifs, on n'enregistre que
cinq pharmaciens formés : Trois à l'hôpital de Laquintinie et deux
à l'Hôpital général de Douala. Peut-être que son utilité n'a pas
encore été évidente, mais leur service est nécessaire. Pour Félicité
Takouam : "Même quand les patients arrivent dans mon bureau, ils
se demandent souvent ce qu'ils sont venus y faire ; mais après des
heures de discussions, ils repartent contents et veulent revenir
chaque jour. Le travail de l'observance est très important, parce
qu'il faut parler de la maladie au patient, l'amener à accepter
le traitement et lui expliquer les contraintes, la vérité sur la
réussite du traitement qui ne guérit pas. Le remonter parce qu'apprendre
qu'on est séropositif n'a rien de réjouissant. Il faut lui donner
un peu de temps pour qu'il puisse réfléchir et une fois qu'il est
d'accord pour le traitement. On soumet son dossier au comité thérapeutique
qui décide au cas par cas en indiquant les molécules qui seront
administrés au patient. Après cela, nous parlons ensemble de sa
posologie et de ce qu'il doit faire s'il loupe l'heure de sa prise.
Ce qu'il faut faire si on a mangé avant alors que la molécule prescrite
se pend à jeun. Ils sont en confiance, au point où ils vous parlent
de leur vie, l'héritage, des rapports sexuels qui leur répugne etc.,
vous devenez une confidente. Mais nous sommes très peu pour assurer
une observance maximale seulement pour les patients de Laquintinie".
Dr David Rey, formateur pendant l'atelier de formation
médecins et biologistes sur le Vih/Sida, conclut que "c'est parce
que l'observance est insuffisante que le nombres d'échecs aux traitements
aux Arv atteint parfois les 50%. C'est très important de suivre
les patients parce qu'ils sont fragiles, faibles et très susceptibles.
L'abandon et le refus de prendre ses médicaments sont le résultat
d'un trouble, d'une perturbation qu'a vécue le malade. C'est lorsqu'il
est dans cet état qu'il peut tout laisser tomber. C'est là que le
rôle du pharmacien ou du médecin chargé de l'observance de ce patient
devient crucial. Il faut former beaucoup plus de personnel médical
pour suivre les Ppvs. Sinon, on fait du surplace".
Marion Obam
Lire l'article original : http://www.quotidienmutations.net/cgi-bin/alpha/j/25/2.cgi?category=10&id=1078478300
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