|
Entre manque de spécialistes et de matériel de
travail, la clinique neurologique de Fann a de quoi se plaindre.
De l'étroitesse des salles et des bureaux, en passant par la vétusté
des appareils, on comprend les difficultés du personnel et des patients.
S'il y a un service hospitalier qui manque de logistique et de matériel,
c'est bien la clinique neurologique de Fann. Unique dans son genre
au Sénégal, cette clinique a la lourde charge d'accueillir, en dehors
des nationaux, des patients venus des pays limitrophes comme la
Mauritanie, la Gambie et le Mali.
Dès lors, il n'est pas surprenant que les couloirs
du pavillon soient pleins à craquer à longueur de journée. Et de
voir d'autres malades nécessitant une hospitalisation, renvoyés
vers d'autres centres. Cette situation s'explique, d'abord, par
un personnel paramédical largement insuffisant et un déficit criard
de spécialistes. Il n'en existe que dix seulement, pour toute cette
population. Il s'y ajoute l'étroitesse des locaux. Et le neurologue,
le Pr Alé Thiam, n'a pas manqué de manifester son regret : "On travaille
avec les moyens de bord. On ne peut même pas parler d'ambulances
pour nos véhicules. Il y a juste un brancard pour transporter les
malades." Au Département de l'imagerie médicale, même désolation.
Pire, la salle de radiologie fait penser à un atelier de mécanicien.
Et la moindre manipulation des appareils produit un crissement aigu
à vous percer le tympan. On y trouve deux appareils, dont l'un qui
n'est plus fonctionnel depuis belle lurette, est apparemment irrécupérable.
Concernant le second appareil, une technicienne nous dit en ironisant
: "C'est le seul qui fonctionne, et il date de Mathusalem. Mais
il tombe rarement en panne, comme s'il savait ce que cela nous causerait.
Ainsi, on peut faire jusqu'à quarante radios par jour." Dans ce
département, selon les techniciennes, seule la salle de scanner
donne entière satisfaction. Elle est spacieuse et dispose d'"un
appareil tout neuf, cent pour cent satisfaisant, alors qu'on n'utilise
pas encore toutes ses fonctions".
Au premier étage, se trouvent les salles d'hospitalisation.
Là, selon Mme Cissé, responsable de cette division, "notre capacité
d'accueil est très limitée, il n'y a que soixante-cinq lits pour
tout le monde que nous recevons". Et ces lits, comme leurs matelas
et leurs draps, sont tous vieux. Et certaines commandes de positionnement
des lits ne fonctionnent plus. Dans la salle de réanimation, il
n'y a que six lits et deux appareils électrocardiogrammes non fonctionnels
servant de meubles de table. Outre cette carence en matériel, le
Pr Alé Thiam souligne que l'accès aux nouveaux médicaments qui sont
utiles à certaines formes de maladies rebelles aux traitements habituels
pose problème. De ce fait, ils sont obligés de simplifier au maximum
les explorations et les traitements.
Par ailleurs, dans le souci d'aider les populations de l'intérieur
du pays, des médecins neurologues en formation sont envoyés en dehors
de la capitale pour soulager l'hôpital et voir les malades sur place,
notamment à Pikine où il existe des consultations en épileptologie
toutes les semaines. Des problèmes, il y en a, et le Pr Thiam de
noter que, "malheureusement, l'Etat providence est fini. Il (l'Etat)
n'intervient que dans les grosses œuvres (construction de bâtiments...).
Maintenant, il appartient au comité de gestion de gérer les revenus".
Lire l'article original : http://www.walf.sn/dossiers/suite.php?id_doss=40&id_art_doss=189
Pr ALE THIAM (Neurologue) "La maladie n'a
pas de frontière entre les classes sociales" - Walfadjri
- Sénégal - 09/03/2004
Beaucoup de personnes souffrent aujourd'hui de
maladies liées au système nerveux. Elles prennent des proportions
effrayantes et touchent toutes les catégories d'âge et sociales.
Malheureusement, selon le Pr Alé Thiam qui nous explique les difficultés
de leur métier, les croyances traditionnelles et culturelles des
populations constituent un frein pour les dépistages et les traitements.
Wal Fadjri : Qu'est-ce que la neurologie ?
Pr Alé Thiam :
La neurologie est une science qui s'intéresse au fonctionnement
du système nerveux. Dans le sens large du système nerveux central
et périphérique, ainsi que les muscles. Elle est aussi une science
des spécialités, qui doit tenir compte de toutes les autres maladies
générales qui ont un retentissement sur le système nerveux.
Wal Fadjri : Quelles sont les catégories de
maladies liées aux nerfs ?
Pr Alé Thiam :
Si l'on prend le système nerveux central, les maladies du cerveau
sont d'abord tout ce qui altère le fonctionnement du cerveau. Et
les causes en sont multiples. Mais la cause la plus fréquente, ce
sont les accidents vasculaires cérébraux, c'est-à-dire quand les
artères qui nourrissent le cerveau sont bouchées ou rompues. Quand
elles sont bouchées, il n'y a plus de sang dans le cerveau et ce
dernier en souffre et donne des paralysies le plus souvent, des
troubles de la conscience et la mort très fréquemment. Quand les
artères se rompent, elles saignent dans le cerveau, le détruisent
et causent les mêmes effets que quand elles se bouchent. Toutes
les autres maladies peuvent toucher au cerveau : les méningites,
les abcès, les encéphalites et toutes les tumeurs, qu'elles soient
malignes ou bénignes, primitives ou secondaires, après une métastase
d'une tumeur viscérale du cerveau. Tous les traumatismes crâniens
peuvent aussi toucher le cerveau et y entraîner des plaies ou des
hémorragies. Enfin, il y a les causes dégénératives. Toute personne
qui vit est appelée à vieillir et à mourir, si elle ne meurt pas
avant la vieillesse. Quand la vieillesse la prend, forcément, le
cerveau est usé et perd une partie de ses fonctions ; ce qui entraîne
des perturbations. Si l'on prend maintenant les autres parties du
système nerveux comme les nerfs et les muscles, nous avons des multitudes
de maladies qui peuvent entraîner des paralysies ou des douleurs
qui sont liées à des maladies à peu près les mêmes que celles que
nous avons citées pour le système nerveux central, les inflammations,
les ischémies, les infections, etc.
Wal Fadjri : Est-il possible, pour les patients,
de détecter les premiers signaux des maladies neurologiques ?
Pr Alé Thiam :
Notre gros problème, ici, est le manque de culture médicale de la
population. Ce qui fait que quand on a une maladie, au lieu d'aller
se faire consulter assez précocement, les gens attendent jusqu'au
dernier moment pour réagir. Et ce retard entraîne une aggravation
de la maladie, donc une difficulté à traiter ces malades. Ces maladies
débutent toujours par des signes. Des signes qu'on appelle avant-coureurs
et qui vous avertissent de quelque chose qui va se passer. Si vous
ne faites rien, cette chose peut régresser, bien sûr, comme elle
peut continuer à s'aggraver. Si l'on prend l'exemple d'une tumeur
cérébrale, elle va se manifester le plus souvent par des maux de
tête. Ces maux de tête vont s'aggraver en s'accompagnant de vomissements
et apparaissent plus tardivement les paralysies. Et quand les paralysies
s'installent, ça signifie que le cerveau est en train de souffrir
en un point donné qui constitue le plus le siège de la tumeur. Donc,
plus le diagnostic est vite fait, mieux le traitement est rapide
et facile. Et l'on évite ainsi au corps étranger de dominer le cerveau
qui, le cas échéant, va s'aplatir et mourir. Si la tumeur est vite
dépistée, il est possible de l'enlever et de permettre au malade
de récupérer entièrement (...)
Wal Fadjri : Quel est le coût minimal du traitement
d'une maladie neurologique ?
Pr Alé Thiam :
Il n'y a pas de fourchette, car chaque maladie a son coût. Mais
la maladie qui coûte le moins cher en matière d'exploration et de
traitement, est l'épilepsie. Le traitement de cette maladie peut
durer plusieurs années, voire toute une vie. Heureusement qu'il
y a un médicament qui est efficace pour 80 % des malades et qui
coûte 100 F Cfa pour vingt comprimés à l'Initiative de Bamako. Ce
médicament est appuyé par une petite exploration qui s'appelle électron
encéphalographie qui coûte 6 000 F. Le plus cher, c'est pour les
malades qui doivent bénéficier d'un scanner qui coûte 40 000 F Cfa
plus des examens biologiques, une hospitalisation d'un mois environ,
une intervention chirurgicale, plus une rééducation qui peut durer
de six mois à plusieurs années. C'est le cas des compressions médullaires.
Il faut l'explorer, l'opérer et le rééduquer. Il s'agit d'une tuberculose
ostéo-vertébrale qui, quand elle touche le système nerveux central,
au niveau de la colonne vertébrale, nécessite tout ce dont nous
avons précité pour que le malade puisse retrouver une marche autonome
et un appareillage normal. Seulement, l'intervention chirurgicale
se fait à l'hôpital Principal entre 600 000 F et un million. Mais
à la neurochirurgie de Fann, au temps où ça fonctionnait, et à l'hôpital
Abass Ndao, elle peut revenir à 100 000 F Cfa (...)
Wal Fadjri : Y a-t-il une catégorie de population
plus touchée par les maladies neurologiques ?
Pr Alé Thiam :
La maladie n'a pas de frontière entre les classes sociales. C'est
vrai que pour une tuberculose ostéo-vertébrale, la haute société
est préservée parce que la tuberculose est une maladie de santé
publique. Ce sont les populations les plus démunies qui en sont
atteintes. Tout comme les accidents vasculaires cérébraux semblent
être plus fréquents chez les personnes bien nourries et bien chauffées
que chez les paysans qui travaillent au soleil. Il existe, en dehors
de cela, des maladies du grand âge et des maladies du jeune âge.
Comme les détériorations mentales qui touchent en général les personnes
âgées. Cependant, certaines maladies ne sont spécifiques ni à l'enfant
ni à l'adulte, car elles commencent de l'enfance et évoluent jusqu'à
l'âge adulte.
Wal Fadjri : Quelles sont les maladies les plus
fréquemment traitées dans cette clinique ?
Pr Alé Thiam :
Les maladies les plus fréquemment hospitalisées sont les accidents
vasculaires cérébraux. Plus du tiers de la population de neurologie
est victime d'accidents vasculaires cérébraux. Et ces maladies sont
encore beaucoup plus graves, car près de la moitié meurt.
Wal Fadjri : Quel est le rapport entre la neurologie
et les disciplines comme la psychologie et la psychiatrie ?
Pr Alé Thiam :
Les relations sont complémentaires. On ne peut pas séparer ces disciplines,
dans la mesure où un malade mental peut cacher une maladie organique,
comme une maladie organique peut se manifester sous la forme d'un
malade mental. Il y a donc des forums où l'on se rencontre avec
des spécialistes d'autres disciplines pour échanger les expériences.
Wal Fadjri : Le croyances culturelles et traditionnelles
des patients ne posent-elles pas de problèmes dans le traitement
?
Pr Alé Thiam :
En Afrique, il est difficile de faire comprendre aux populations
qu'il existe des maladies incurables. Il existe des maladies chroniques
qui nécessitent un traitement tout le long de la vie. Cette compréhension
n'est pas ancrée dans la conscience des populations. Si elles reviennent
plusieurs fois et qu'on leur donne les mêmes traitements, elles
se lassent et vont chercher ailleurs. Elles refusent d'accepter
qu'il n'y a aucun remède pour les guérir définitivement. C'est le
cas des maladies dégénératives des nerfs périphériques.
Lire l'article original : http://www.walf.sn/dossiers/suite.php?id_doss=40&id_art_doss=190
Dans les couloirs de la clinique : Quand
on oublie la joie de vivre - Walfadjri
- Sénégal - 09/03/2004
A la clinique neurologique de Fann, il se passe
des scènes à vous couper le souffle. On se croirait parfois dans
un champ de bataille. Seulement, ici, on transporte des personnes
tombées en crise ou paralysées.
Il est 7 h 30 lorsque nous franchissons le grand
portail du Centre hospitalier universitaire (Chu) de Fann. Une foule
d'hommes, de femmes et d'enfants se dirigent vers les différents
services spécialisés. Juste après l'entrée, à 30 m, à droite, se
cache la clinique neurologique, la seule du genre au Sénégal. Ici,
on s'occupe de tous ceux qui souffrent de problèmes liés au système
nerveux central ou périphérique. Qu'il s'agisse de démence, de surmenage,
de dépressions nerveuses, de crises vasculaires cérébrales ou épileptiques.
Nous sommes en début de week-end, mais parents et malades ont très
tôt pris d'assaut les couloirs. De l'entrée principale du pavillon,
comme le long de tous les couloirs, les bancs réservés aux patients
sont entièrement occupés. Les malades paralysés ou visiblement atteints
sont, par-ci, tenus par les épaules et, par-là, allongés à même
les carreaux. Certains accompagnateurs se tiennent debout, prenant
leur mal en patience. Il règne ici un silence de cimetière. Seuls
les gémissements des malades et le passage des secrétaires sillonnant
les couloirs viennent perturber ce calme. C'est le plein devant
les bureaux des professeurs Alé Thiam et Amadou Gallo Diop, et du
Dr Chraïby. Les attentes durent et la fatigue commence à se faire
sentir. Comme nous le confie cette femme d'une cinquantaine d'années,
"nous (elle et son garçon malade) sommes là depuis 7 h. Vraiment,
les consultations prennent du temps". Mais elle s'empresse d'ajouter
: "Ça en vaut la peine, car c'est ici que le grand frère de ce garçon
qui était partiellement paralysé à la suite d'une crise, a pu être
guéri." A côté d'elle, se tient un homme d'environ 40 ans. Consultant
en gestion dans le civil, il a connu, il y a deux ans, un accident
vasculaire cérébral. "On m'a hospitalisé ici pendant près de deux
mois, raconte-t-il. Et aujourd'hui, j'ai perdu mon boulot, car je
suis paralysé du bras gauche". Et il n'en veut pas aux médecins
qui l'ont soigné comme ils ont pu. Il s'en veut à lui-même et à
son alimentation : "Toutes ces crises d'hypertension artérielle
sont dues à notre alimentation qui est entièrement à base de produits
chimiques."
A l'autre bout du couloir, se trouve le Département
de l'imagerie médicale. Là aussi, c'est le même silence. Des malades
couchés sur des brancards ou assis dans des fauteuils roulants attendent
pour passer la radio ou le scanner. Et si en consultation, l'on
débourse 2 000 F Cfa, il faut payer 40 000 F pour le scanner.
Lire l'article original : http://www.walf.sn/dossiers/suite.php?id_doss=40&id_art_doss=191
|