|
Vingt trois années après
le dépistage des premiers séropositifs, le monde célèbre
aujourd’hui, encore la Journée mondiale de lutte contre
le Sida. Le Sénégal, qui reçoit des milliards
de francs Cfa des bailleurs et des partenaires qui l’appuient
dans sa croisade contre le Vih/Sida, ne va pas rater ce wagon mondial
sous la coupole de la locomotive onusienne, avec des panels, des
ateliers, des conférences de presse, entre autres manifestations.
Il y a ceux qui vivent du Sida et ceux qui en meurent. Ceux qui
ont leur part des milliards du Sida. Que ce soit sous forme de perdiem,
de frais de participation ou d’organisation, pour avoir abriter
telle ou telle autre manifestation.
D’autres Sénégalais, ceux-là infectés
par le virus, vont peut-être passer une nuit blanche. Leurs
conditions de vie précaires ne leur permettent même
pas de prétendre au préalable qui les autoriserait
à bénéficier du traitement par antirétroviraux.
Pourtant, en leur nom, les associations, conseils, comités,
programmes se multiplient. Lutte contre le Sida oblige ! Là
il y a les sous, se disent les mercenaires de la santé qui
y ont trouvé un créneau fertile, avec des sources
de financement aussi diverses que les institutions bilatérales
(Nations-Unies, Banque mondiale), le secteur privé (fondations
ou Ong), sans oublier les dépenses intérieures des
Etats (dépenses publiques et des individus ou familles touchés).
Une manne financière qui appâte au Sénégal
et ailleurs. Au moment où le nombre d’infections augmente.
L’Onusida et l’Oms l’ont déploré
mardi dernier, à Paris, lors de la publication de leur rapport
conjoint sur le Sida qui note qu’on est passé de 2,1
milliards de dollars en 2001 à 6,1 milliards en 2004. Sans
pouvoir réduire le nombre d’infections.
FINANCEMENT - Structures multiples : Ces milliards
qui aiguisent des appétits
Par Ndiaga NDIAYE
«La première personne qui découvrira le vaccin
du Sida un jour J risque d’être tuée à
l’heure qui suit.» C’est la conviction d’un
agent de santé en service au Centre hospitalier universitaire
de Fann. Une conviction qu’il explique par le fait «qu’il
y a tellement à boire et à manger dans la lutte contre
cette pandémie que ceux qui s’activent dans les divers
programmes et organisations prient pour que le Sida dure le plus
longtemps possible».
De l’avis de notre interlocuteur, les pluies de milliards
déversées dans cette lutte justifient la prolifération
des structures qui disent œuvrer pour contrecarrer l’expansion
de la maladie. Et cela se manifeste par une nouvelle tendance «de
groupes de personnes à se retrouver dans des organisations
pour solliciter des financements sous le prétexte d’engager
une croisade contre le Sida. Or, l’objectif n’est rien
d’autre que d’accéder aux fonds disponibles.
Ce ne sont pas les porteurs du Vih qui les intéresse, encore
moins la prévention des personnes, mais l’argent que
cela génère. Il suffit tout simplement de se rendre
dans les hôpitaux ou les centres d’accueil pour s’en
convaincre», renseigne-t-il.
Pour lui, les porteurs du Vih et ceux qui sont chargés de
suivre leurs traitements ne sentent pas les moyens mis à
leur disposition dans la mesure où «l’essentiel
des fonds est géré d’une manière unilatérale
par les responsables des différentes structures. Et ces personnes
ne sont pas imprégnées des réalités
du terrain car, omnibulées par les perdiems des séminaires
interminables sans que les recommandations ne soient appliquées».
Et selon différents interlocuteurs, c’est cette tendance
commerciale et mercantile autour du Sida qui explique la désertion
de nombre de médecins des structures sanitaires pour se bousculer
aux portes des projets financés pour combattre le Sida. Des
projets qui, en réalité, ne participent pas, de façon
positive et efficace, à faire reculer et prévenir
le Sida. Car, déplore l’un d’entre eux, «plus
le montant des financements augmente, plus le taux d’infection
suit sa ligne ascendante». Il relève de ce paradoxe
«une propension des acteurs à vivre plus du Sida que
de se soucier du recul et de la prise en charge des personnes infectées».
Escroquerie humanitaire
Ces inquiétudes de cet agent de la santé découlent
de l’importance de la manne financière que reçoit
le Sénégal des bailleurs de fonds et des partenaires
étrangers pour limiter la progression de la maladie. D’après
certaines sources, le pays a bénéficié d’un
financement de 11 millions de dollars, soit 5,5 milliards de francs
Cfa, du Fonds mondial de lutte contre le Sida à travers un
de ses projets éligibles. Et notre interlocuteur de s’étonner
que ce montant, ajouté aux 24 milliards de francs Cfa alloués,
sur une période de cinq ans, par la Banque mondiale dans
cette croisade, en plus des 2 milliards du fonds capitalisé
à travers le budget national, n’arrivent toujours pas
à arrêter la pandémie et assurer la prise en
charge correcte des personnes porteuses du virus.
En outre, il existe un autre projet de 100 millions de dollars (environ
50 milliards) sur l’horizon 2002-2006. Sans compter les projets
américains qui ne sont pas pris en charge. A l’en croire,
«le taux de prévalence que l’on dit stationnaire
n’est qu’un moyen de justifier un bon usage de ces milliards
qui aiguisent (bien) des appétits». D’après
son analyse, ces incohérences se justifient par l’absence
d’un organe de coordination des différents intervenants,
pouvant capitaliser les résultats obtenus. Et cette dispersion
des actions ne favorise pas non plus une bonne maîtrise de
la maladie.
Par ailleurs, déplore notre source, cet ancrage de certains
agents n’a jamais inspiré les autorités pour
savoir les motifs d’un tel engouement. «Il n’a
jamais existé un contrôle de ces projets et la justification
des fonds dépensés. L’on prend la liberté
de gérer comme l’on veut, de réussir son coup
sans que le ministère de tutelle ne soit au courant de ces
pratiques aux allures d’escroquerie humanitaire.»
Toutefois, ces récriminations ne semblent intéresser
l’Alliance nationale de lutte contre le Sida (Ancs) car, de
l’avis de son directeur, M. Baba Goumbala, sa structure est
auditée chaque année par un cabinet de la place, de
même qu’un rapport trimestriel sur la gestion des fonds
est communiqué à l’Etat et aux partenaires.
Aussi ajoute-t-il que «les 80 % de son budget, qui est passé
de 75 millions en 1995 à 428 millions de francs en 2004,
sont destinés à la subvention et au renforcement des
capacités. Alors que seuls 20 % reviennent au fonctionnement
avec seulement un personnel de 10 membres»
Cette option de l’Ancs s’explique, selon M. Goumbala,
par un souci de réduire les charges liées au fonctionnement
et de participer, au maximum, à infléchir la tendance
de la pandémie. C’est aussi la même trompette
qu’embouche le Dr Ibra Ndoye du Programme national de lutte
contre le Sida (Pnls) pour qui, un contrôle est exercé
sur la destination des fonds alloués aux différents
acteurs. «Il s’agit d’apprécier l’impact
sur des indicateurs que nous nous sommes fixés pour s’assurer
que les objectifs ont été effectivement atteints.»
Ce à quoi s’ajoute la mise en place des mécanismes
d’audit pour sécuriser les fonds, d’autant que
«le contrôle est du ressort de l’agent judiciaire
de l’Etat», précise M. Ndoye. Ndiaga NDIAYE
Lire l'article original : http://www.lequotidien.sn/dossiers/article.CFM?article_id=296&var_doss=60
A lire aussi :
|