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Revue de presse de Santé tropicale

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Le médecin, la fin de vie et la question de l’euthanasie : quelques éléments de réflexion d’un médecin sénégalais

Walfadjri | Sénégal | 02/09/2011 | Lire l'article original

S’agissant de l’euthanasie, un courant d’opinion, notamment en Europe, estime aujourd’hui, qu’il devrait être permis, dans certaines conditions, de donner la mort à une personne atteinte d’une maladie incurable et qui en fait la demande. Sous le coup de l’émotion, on se laisse convaincre que la seule issue est alors de hâter la fin. Notre jugement ne peut être conditionné uniquement par l’émotion et son amplification médiatique.

Traditionnellement, dans les pays occidentaux, la vie était perçue comme un don dont on craignait le moment où il serait repris, elle y apparaît aujourd'hui comme un droit dont il faut jouir aussi pleinement que la science le permet. L’idée que l’Occident se fait aujourd’hui de la personne et du corps humain est expliquée en termes rationnels, juridiques qui tiennent compte des droits individuels. Cela met en difficulté dans ces pays, non seulement les normes confessionnelles, mais toute l'anthropologie religieuse. Y faire face à la question euthanasique, conduit en réalité à affirmer des valeurs et des principes touchant tant à la liberté des individus, qu'aux exigences du respect de la vie individuelle et sociale. Toujours est il que rien ne pourra jamais prouver qu’une demande de mort est vraiment libre, qu’elle n’est pas commandée par une détresse telle que la liberté s’en trouve exclue.

Quant aux croyances et au système traditionnel sénégalais, ils sont en conflit depuis des siècles avec ceux du monde occidental, s’imbriquant entre eux pour le meilleur et le pire. Dans la culture traditionnelle sénégalaise, la personne est définie en termes d’interdépendance, d’obligations mutuelles. Elle correspond à un statut social, à un positionnement familial et même à un cadre cosmologique. L’unité de santé qui importe donc dans notre pays n’est pas l’individu, mais le foyer, et au-delà la communauté dont on connaît l’attachement à la religion. Pour l’Islam comme pour le christianisme, la loi de Dieu est avant tout une loi de vie et de respect du sacré. Le Coran précise : ‘Ne tuez point la vie que Dieu a rendue sacrée’ (Coran VI-151). Ailleurs dans le livre saint, il est écrit : ‘Tuer une vie, c’est comme tuer toute l’Humanité’ (Coran V-32 al maidah). Pour la doctrine musulmane, la vie a une valeur sacrée, elle trouve son origine dans une puissance transcendante qui n'en confie à l'homme, en quelque sorte, que l'usufruit. De ce point de vue, l’euthanasie, le meurtre, le suicide, ou le génocide relèvent de la même gravité comme des atteintes au sacré immuable de la vie.

Au Sénégal, la législation actuelle est claire : elle n’autorise pas l’euthanasie qui serait la complicité par l’Etat et le corps médical de la destruction d’une personne. La société sénégalaise se l’interdit parce que ce serait violer un commandement de Dieu, mais parce que ce serait peut-être aussi briser l’un des derniers tabous anthropologiques qui fondent précisément la dignité du Sénégalais, en interdisant à celui-ci de s’aliéner totalement entre les mains de la société. Si, en situation concrète, la décision d'arrêter une vie peut, aux limites, apparaître comme un acte formulable, cet acte ne peut se prévaloir d'une évidence éthique claire. Une telle décision ne peut et ne pourra jamais devenir une pratique comme une autre. On pensera à André Malraux qui constatait qu’aucune civilisation n’avait inscrit dans ses fondements la mort volontaire et décidée de l’individu.

Il reste qu’il faut aujourd’hui lever le voile d'hypocrisie et de clandestinité qui recouvre certaines pratiques actuelles, ces ‘cocktails sédatifs’ dont parle le monde hospitalier en chuchotant. Il est étrange que l’on ait attendu notamment dans les pays occidentaux, des conflits de conscience sur la fin de vie pour parler autant de la dignité. Dans le cas de Chantal Sébire et d’Eluana Englaro, le droit de mourir dans la dignité a été l’argument le plus constamment évoqué. Ceux qui développent cet argumentaire, prétendent que la dignité d’une personne serait diminuée en proportion de sa dégradation physique ou psychique. Il est difficile de croire que la dignité soit une variable, fonction de notre état de santé physique ou mental, de notre âge, de notre fortune, de notre culture ou de n’importe quoi. On ne peut être d’accord qu’avec Breton qui disait : ‘La dignité n’est pas un état, mais une relation sociale qui ne tolère pas la moindre hésitation de la balance entre l’estime de soi et la confirmation conférée par les autres’. Nous touchons là au principe même de l'idée de dignité, dès lors qu'est ainsi confirmée à cette personne si proche du terme de sa vie, si vulnérable, l'irréductible valeur de son existence parmi et avec nous.

La globalisation réalise souvent une homogénéisation des référentiels qui ne tient pas habituellement compte des situations locales. Or, il est évident que la grande variété des cultures et des coutumes de notre monde ne peut nullement permettre la réalisation d'un consensus universel. Les lieux de production de la santé des Sénégalais ne devraient donc pas être simplement des lieux de mise en scène d’arguments élaborés ailleurs, indépendamment des caractéristiques des dispositifs sociodiscursifs locaux et de leurs usages. Comme le dit très bien Simon Darioli, ‘la pratique médicale ne saurait être dissociée du temps et de la culture dans lesquels elle s’inscrit’. Ainsi, les médecins, bien que porteurs d'une fonction qui se veut unifiée par-delà les continents, sont aussi des acteurs sociaux qui doivent participer à la définition du sens et des modalités de leur profession.

Le médecin au Sénégal joue avec une combinatoire composée de ‘normes écrites’ et de ‘normes pratiques’ dont toutes rentrent dans le jeu des acteurs. Si l'individu que doit soulager le médecin sénégalais est théoriquement impersonnel, pour autant, l'épaisseur relationnelle au sein de laquelle il remplit sa fonction n'est jamais un espace neutre. Ceci devrait donner lieu à des perspectives d'une pratique médicale fondée sur des bases socioculturelles, déontologiques et axiologiques, nécessairement différenciées. Il ne faut pas hésiter à adopter si nécessaire une stratégie dissociative lorsque le modèle proposé ne respecte pas les valeurs sénégalaises. Ces dernières peuvent offrir aujourd’hui de nouvelles perspectives de l’humain, à l’heure où les modèles occidentaux semblent s’épuiser. L'éthique médicale est nécessairement comparée en ce que ses principes de jugement dépendent non seulement de l'époque, celle d'Esculape, celle de Pasteur ou celle du Professeur M’Boup, mais aussi de l'espace avec comme critères de différenciation, le niveau de développement technoscientifique d'une part, les caractéristiques proprement anthropologiques d'autre part. L’universalisme dont le corpus hippocratique se réclame, doit, de ce fait, accepter le détour par le particulier, position médiane qui nécessite sans cesse réflexion pour des pays comme le nôtre. Le XXIe siècle ne pourra faire l’impasse sur cet aller-retour obstiné entre l’homme biologique et l’homme social. Par rapport à cela, la pensée ‘du mourir’ ne pourrait être qu’une pensée de l’identité et de la totalité.

Les médecins sénégalais sont certainement conscients de la puissance de la médecine, mais en même temps, en tant que croyants pour la grande majorité, ils ont le sentiment profond de la finitude de l’homme. Ceux qui ont voulu trop rationaliser la vie et la mort, ont été souvent amenés à manifester leur humilité devant des mystères qui leur échapperont toujours, et à faire confiance à la nature et en Dieu. Des forces diverses tendront à se coaliser dans un autre sens, au nom de la légitimité de la liberté sans contrainte. C'est Vladimir Jankélévitch qui s'écriait : ‘La liberté est toujours au-dessus de la vie.’

Au fond, le véritable défi devant lequel la société sénégalaise se trouve placée aujourd’hui, revient à permettre à chacun de vivre moins mal sa mort, de façon digne et dans la mesure du possible, de ne pas en être dépossédé. Pour la préservation de la dignité du malade, la médecine nous impose d’avoir une attitude critique sur notre manière d’appliquer les traitements, de comprendre la douleur, la souffrance, dans un climat culturel défini par la pluralité des points de vue. Témoigner de manière digne notre considération à la personne, ne pas être indifférent à ce qu'elle éprouve dans ces temps incertains de la fin de vie, signifie que nous refusons d'anticiper sa mort, que nous ne l'excluons pas de notre vie en lui contestant sa place au sein de la communauté humaine. Il faut, en effet, inscrire la fin de vie au sein de la vie elle-même, et veiller à ne pas exclure d'un monde humanisé, les derniers instants d'une existence donnée. Il faut humaniser la fin de vie, même si cela peut paraître présomptueux, car ne sachant pas tout simplement humaniser la vie avant sa fin.

Les soins palliatifs se présentent comme des soins actifs, dans une approche globale de la personne atteinte d'une maladie grave évolutive ou terminale. Leur visée est simple : permettre au processus naturel de la fin de la vie de se dérouler dans les meilleures conditions, tant pour le malade lui-même que pour son entourage familial et institutionnel. Ils sont plus simplement, une exigence de la prise en compte de la personne dans sa totalité qui seule peut redonner sens à la médecine clinique. La médecine curative perçoit, de plus en plus, les soins palliatifs comme une dimension complémentaire à la leur, même si le partage de la territorialité entre ces deux approches médicales est encore très difficile.

La société sénégalaise réclame une relation au praticien qui serait basée sur l’homme et pas seulement sur la technique, et c'est là l’un des enjeux du développement de la Médecine moderne. Le cadre épistémique du médecin sénégalais devra ainsi être un cadre intégrateur, car en dehors de la dimension scientifique, il devra aussi prendre en compte les modèles conceptuels qui sous-tendent les pensées médicales des populations sénégalaises. Ces derniers constituent l’arrière-fond beaucoup plus stable en fonction duquel se conçoivent et s’élaborent les stratégies adaptatives. Le médecin sénégalais devra percevoir le malade comme une totalité et non le sectoriser. Il devra aussi s’efforcer d’utiliser un langage dans lequel pourront s’exprimer des états habituellement informulables et souvent informulés. La médecine moderne s’intéresse au comment alors que ce qui intéresse souvent le Sénégalais, c’est qu’on lui donne une réponse à cette angoissante question qu’est le pourquoi. Elle devra accepter bien souvent et avec une neutralité bienveillante, que l’hôpital soit le lieu d’articulation de savoirs appartenant à des ordres conceptuels différents mais tous légitimes : les bouteilles et les talismans que l’on introduit clandestinement dans les salles d’hospitalisation.

Dans la fin de vie, il s’agit d’une période de l’existence au cours de laquelle les repères tendent à s’effacer. Tout y est hors normes. Dans ce cadre, aucune compétence technique particulière n’est nécessaire. L'accompagnement des patients au cours de cette épreuve à travers leurs croyances est une fonction qui devient primordiale. Il ne faut pas oublier la sagesse sénégalaise qui nous rappelle que ce qui nous fait souffrir devant la mort, c’est de l’inconnu dès qu’on ne peut plus le combler par des récits mythologiques ou religieux. Assister une personne en fin de vie, c’est l’aider à donner un sens personnel à son existence qui s’achève. Les grands malades et plus particulièrement les vieillards ne devront pas être infantilisés. Il ne faut pas faire semblant jusqu'au bout. Comme l'écrivait Tolstoï, dans La mort d'lvan lllitch, ‘on lui avait fait le mensonge qu'il n'était que malade et pas mourant, mensonge qui rabaissait l'acte formidable et solennel de sa fin’.

La fin de vie est souvent inacceptable et le déni y est souvent très fort et tenace. Certains patients auront cependant le temps de se réconcilier avec eux-mêmes ou avec ceux qui les entourent. D'autres feront même des projets qui témoignent de leur désir de vivre encore, comme dans ce dialogue célèbre de Platon avec Socrate, condamné à mort : ‘A quoi te sert Socrate d'apprendre à jouer de la lyre puisque tu vas mourir ?’ Socrate : ‘A jouer de la lyre avant de mourir’. D’autres encore, à l’instar du laboureur de Jean de La Fontaine, s’inscriront dans une démarche testamentaire : ‘Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine, fit venir ses enfants, leur parla sans témoins…’ Aider le malade en fin de vie à mourir ‘avec dignité’, c’est-à-dire en paix avec soi-même et avec les autres, c’est aussi lui permettre de quitter cette terre, entouré de personnes qu’il a aimées. Au Sénégal, on a coutume d’accompagner les personnes qui nous sont chères pour les grands voyages. Ne dit-on pas ‘partir c’est un peu mourir’.

Pour conclure, on peut avancer l’idée que plus la médecine deviendra performante et plus l’extension des libertés individuelles se développera, plus des antagonismes forts naîtront entre enjeux éthiques et respect de ces libertés. Il va sans dire que de nouveaux débats et polémiques scanderont le XXIe siècle. Nous éviterons de basculer dans le prêt à penser moderne si nous arrivons à admettre que l'éthique est au fond l’incertitude d’avoir raison, et qu’elle vit moins de certitudes péremptoires que de tensions et du refus de clore de façon définitive des questions, dont le caractère récurrent et lancinant exprime des aspects fondamentaux du tragique de la condition humaine. (Fin)

Professeur Oumar FAYE Directeur de la Santé

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